1973. La guerre froide empoisonne toujours les relations internationales. Les services secrets britanniques sont, comme ceux des autres pays, en alerte maximum. Suite à une mission ratée en Hongrie, le patron du MI6 se retrouve sur la touche avec son fidèle lieutenant, George Smiley. Pourtant, Smiley est bientôt secrètement réengagé sur l’injonction du gouvernement, qui craint que le service n’ait été infiltré par un agent double soviétique. Epaulé par le jeune agent Peter Guillam, Smiley tente de débusquer la taupe, mais il est bientôt rattrapé par ses anciens liens avec un redoutable espion russe, Karla. Alors que l’identité de la taupe reste une énigme, Ricki Tarr, un agent de terrain en mission d’infiltration en Turquie, tombe amoureux d’une femme mariée, Irina, qui prétend posséder des informations cruciales. Parallèlement, Smiley apprend que son ancien chef a réduit la liste des suspects à cinq noms : l’ambitieux Percy Alleline, Bill Haydon, le charmeur, Roy Bland, qui jusqu’ici, a toujours fait preuve de loyauté, le très zélé Toby Esterhase… et Smiley lui-même. Dans un climat de suspicion, de manipulation et de chasse à l’homme, tous se retrouvent à jouer un jeu dangereux qui peut leur coûter la vie et précipiter le monde dans le chaos. Les réponses se cachent au-delà des limites de chacun…
"La Taupe", mis en scène par le Suédois Tomas Alfredson, nous prend à témoin de la lutte feutrée en apparence et impitoyable en réalité que se livrent l'Occident et l'URSS. Le scénario de Bridget O'Connor et Peter Straughan compresse, il est vrai, en 2 heures de projection, les innombrables méandres du roman de John Le Carré et les inépuisables démêlés des agences du système des renseignements britanniques après une opération ratée derrière le rideau de fer, afin de tenter de découvrir l'identité de l'agent double infiltré au coeur du quartier général du M16. Il est plus que probable que John Le Carré s'est inspiré alors des légendaires "Cinq de Cambridge" qui officièrent durant les années 37/47, sans doute les indicateurs les plus efficaces de l'Occident au service des Soviets. Le plus connu était Harold Adrian Russel Philby. On sait qu'à l'époque Cambridge était truffé de sympathisants communistes. Le second du groupe n'était-il pas le fils d'un ancien ministre, haut dignitaire de l'Empire britannique, Donald MacLean, qui incarnait par son affabilité l'agent secret idéal, à la façon dont l'acteur Colin Firth compose le personnage de Bill Haydon ? Alors que "Les cinq de Cambridge" opéraient lors de la lutte clandestine contre le fascisme, "La Taupe" se situe durant la guerre froide des années 70. Tomas Alfredson excelle dans la restitution d'une atmosphère trouble à souhait grâce à sa collaboration avec le plus dandy des couturiers : Paul Smith. Tout est conçu pour composer des images qui nous replongent dans le décor d'une Angleterre qui sortait difficilement de l'austérité héritée de la guerre. On y perçoit la touche de rouge des cabines téléphoniques, des autobus à impériale, des boîtes aux lettres, couleur qui contraste savamment avec la tonalité sombre et sévère des images, le vestiaire des costumes au charme rétro très british porté par les protagonistes, les pièces d'échecs qui font partie intégrante de l'intrigue, puisqu'elles servent à fixer notre attention sur les personnages suspectés d'être la taupe, puis la théière, le mobilier et autres objets qui renvoient en permanence à l'époque par petites touches, chacune ayant son importance et son subtil écho. Et enfin, il y a les acteurs et leur remarquable interprétation, dont celle centrale et captivante de George Smiley prêt à sacrifier sa moralité sur l'autel des exigences de la nation. L'anti James Bond, aussi discret que l'autre était brillant, et dans la peau duquel se glisse de façon magistrale Gary Oldman, dont c'est là l'un des grands rôles. Après des années difficiles, il revient sur le devant de l'écran dans une composition complexe, riche de mille nuances, celle d'un agent solitaire assumant ses paradoxes dans l'intérêt d'un bien supérieur. En définitive, il est celui à qui incombe les basses besognes, de façon à ce que les citoyens ordinaires, forcément honnêtes et ignorants de ces choses, puissent dormir tranquilles dans leur lit.
Ceux qui l'entourent sont au diapason, que ce soit Colin Firth, le joli coeur doué pour séduire les hommes comme les femmes, toujours vêtu de costumes élégants, un sourire ironique au coin des lèvres, ou Toby Jones dans celui de l'ambitieux Sir Percy Alleline qui tente de tenir les rênes en ces temps troublés et joue avec le feu, ou encore Ciaran Hinds dans la peau de Roy Bland, agent virtuose et polyglotte, très introduit à l'Est. Il se ralliera bientôt à Alleline dans l'espoir d'une promotion rapide. Le film rend admirablement le climat délétère et malsain de ce milieu, où le soupçon est devenu leitmotiv, les trahisons et les retournements fréquents, où chacun a ses fêlures que les autres s'emploient à exploiter et où l'on joue constamment aux échecs dans un monde où deux blocs s'affrontent sans merci, au prix des coups les plus tordus et les plus sordides. Si l'intrigue est parfois un peu difficile à suivre, elle ne se relâche pas un instant et se décline avec une rare intelligence, tant dans le déroulé des images que dans les dialogues percutants, les flash-backs qui donnent une tonalité étrange et subtile au film. La bande sonore, oeuvre du jeune Alberto Iglesias, colle parfaitement au sujet et a le mérite de se fondre dans l'action en la rehaussant, sans la gêner. A coup sûr, l'un des films les plus aboutis sur l'espionnage qu'il nous a été donné de voir.
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