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5 juin 2009 5 05 /06 /juin /2009 10:23
ETREINTES BRISEES de PEDRO ALMODOVAR

      

Un homme écrit dans l'obscurité. Cet homme s'appelait Matéo Blanco et aujourd'hui a pris le pseudonyme de Harry Caine. Pourquoi ? Parce que sa vie quinze ans auparavant a été brisée par un accident de voiture qui l'a rendu veuf et aveugle. Après cette rupture tragique, l'homme ne pouvant plus exercer son métier de metteur en scène est devenu simple scénariste et, à travers les histoires qu'il propose, tente vainement de restituer sous forme d'un puzzle la sienne propre, présent déchiré par le passé, le secret et la mémoire tronquée. Comme l'évoque le titre, volontairement mis au pluriel, plusieurs histoires se mêlent et s'entremêlent avec fluidité et dans cet entrelacs.  Pedro Almodovar se livre à une réflexion sur la création et la destruction, celle des oeuvres que l'on se doit d'achever, même la peur au ventre, même "à l'aveugle", comme le dit Matéo (Lluis Homar), le héros d'une passion interdite. N'est-ce pas le film qui commande ? La faute principale de Matéo n'est pas tant d'avoir séduit la femme d'un autre - celle d'un riche homme d'affaires qui avait accepté de financer son film à condition qu'il confie le rôle principal à sa maîtresse et dont il est devenu follement amoureux - que d'avoir préféré cette femme à son art ? Le destin l'a puni de façon exemplaire en le privant à la fois de la femme aimée, cette Léna somptueuse comme un crépuscule, morte dans l'accident de voiture et de la possibilité de poursuivre son métier de metteur en scène.
 

 

Récit d'un amour dominé par la fatalité, cet opus s'ancre en prenant pour métaphore le processus du montage d'un film comme symbole de la réalisation d'une vie. Riche en flash-backs afin de nourrir le suspense autour du personnage central, Léna, campé par une  Penélope Cruz  plus glamour que jamais, actrice sensible, truculente, exaltée et exaltante, la caméra ne cesse de nous offrir des plans somptueux qui confirment la maîtrise et la virtuosité du cinéaste ibérique et nous ensorcelle une fois de plus par la beauté formelle de ses images
 


Certains ont reproché à Almodovar se s'être montré moins innovant que dans ses films précédents. Je ne suis pas d'accord.  Etreintes brisées  m'est apparu comme une oeuvre de plénitude, synthèse des acquis du passé, qui s'énonce de façon consensuelle en un abouti subtil et puissant, joue de la référence ainsi que du magnétisme bien connu de l'auteur, qui ne manque jamais de rendre hommage à ses maîtres, dont Rossellini auquel il adresse un clin d'oeil à travers l'évocation du  Voyage en Italie.



Malgré quelques imperfections et en partie grâce à elles, le film est parcouru par une émotion constante. Principalement par celle que provoque, même traitée au figuré, la conscience de l'artiste d'être un jour privé de la possibilité de poursuivre l'exercice de son métier. Almodovar l'a cristallisée dans la cécité de Matéo Blanco. Mais comme le dit l'un des héros, c'est le film qui reste au coeur du drame, drame personnel de l'amour fou qui, en fin de compte, ne parvient pas à se partager entre la femme adulée et l'art vénéré. Lors d'une actualité cinématographique plutôt sinistre et décevante, Etreintes brisées sort du lot et signifie, si besoin est, que le talent reste une valeur sûre.

 

 Pour lire les articles consacrés à Pedro Almadovar et à Penélope Cruz, cliquer sur leurs titres :

 

PEDRO ALMODOVAR OU UN CINEMA ANTICONFORMISTE        

 

PENELOPE CRUZ - PORTRAIT



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16 mai 2009 6 16 /05 /mai /2009 08:23
UN MARIAGE DE REVE de STEPHAN ELLIOTT

       
Stephan Elliot, après être resté longtemps éloigné des studios, nous revient avec une comédie savoureuse et acide à souhait  Un mariage de rêve , dans laquelle on retrouve le même humour décalé que dans un précédent opus  Priscilla, folle du désert  (1994), qui, lui aussi, pointait du doigt une petite société restée à l'écart des réalités contemporaines. Ce film respire par tous ses pores l'ironie et le piquant du cinéma britannique.



Dans les années 1930, Larita  (Jessica Biel), une aventurière américaine, est la première femme à remporter le Grand prix automobile de Monaco. Subjugué par son courage et son charme, John Whitaker, un jeune aristocrate anglais, lui avoue sa flamme et l'épouse. Mais lorsqu'il la présente à ses parents et à ses soeurs, l'accueil va être glacial et le jeune couple subir les aléas d'un climat des plus perturbé. La jeune mariée, habituée au rythme trépidant de Seattle, ne va pas parvenir à se faire à celui ralenti d'une vie seigneuriale figée dans son quant à soi et encombrée de rites ancestraux.



En effet, si Mr Whitaker père semble apprécier la compagnie de l'étrangère qui rattrape sa petite naissance par sa jeunesse et sa beauté, il n'en est pas de même de sa femme, très attachée aux usages de la haute société britannique et qui va manifester, dès les présentations faites, une véritable aversion à l'égard de cette bru que son rejeton a eu la malencontreuse idée d'épouser et dont les manières sont si peu conventionnelles. Agrippée à ses moeurs victoriennes, Kristin Scott Thomas  - qui est une habituée de ce genre de rôle - nous campe avec talent et une austérité grandiloquente une belle-mère aux convictions d'un autre âge et se livre à un festival cynique de répliques cinglantes et de sarcasmes à l'intention de la jeune femme qui ne reste pas coite évidemment. Si bien que s'instaure un jeu de massacre sans victimes à proprement parler, mais qui n'en est pas moins haut en couleur et corrosif en diable.
 


Le metteur en scène australien, que l'hypocrisie de la haute société britannique semble inspirer, réalise là un petit chef-d'oeuvre d'humour jubilatoire, servi par des dialogues brillants et des acteurs en parfaite adéquation avec leurs personnages, nous assurant un divertissement de qualité et une heure trente de réel plaisir. Ce qui ne se refuse pas.

 

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UN MARIAGE DE REVE de STEPHAN ELLIOTT
UN MARIAGE DE REVE de STEPHAN ELLIOTT
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11 avril 2009 6 11 /04 /avril /2009 08:59
CHERI de STEPHEN FREARS

       
Stephen Frears  signe avec  "Chéri",  son récent opus, un conte cruel et magnifique, qui séduit peut-être plus qu'il n'émeut, monde futile qui voit l'argent régner en maître et la férocité s'inviter en permanence dans le quotidien de ces femmes légères et vénales. Après  "Les liaisons dangereuses"  où Michelle Pfeiffer faisait déjà merveille, Frears nous livre, 20 ans après, une adaptation littéraire de "Chéri "d'après Colette. Fidèle au milieu dépeint par l'écrivain, il pose sa caméra au coeur du demi monde luxueux des courtisanes de la Belle Epoque et nous introduit au plus secret de la liaison entre Léa de Lonval, dans l'éclat de sa maturité, et le très jeune Fred Peloux, surnommé Chéri. Pour lui, c'est le premier amour ; pour elle, ce sera le dernier. Frears, dont on connaît la sensibilité attentive et nuancée, mais également la verve satirique, n'a lésiné ni sur le raffinement des costumes de Consolata Boyle, ni sur la splendeur des décors signés Alan MacDonald, ni sur la musique très plaisante que nous dispense le compositeur Alexandre Desplat. Par ailleurs, le scénariste Christophe Hampton a su reproduire le style impressionniste de Colette et son tempo particulier, grâce à une écriture vive comme les battements de coeur des amants baignant ensemble dans les fastes de la fin du XIXe siècle, de même qu'il conduit au grand galop le récit de cette passion amoureuse qui sera lentement empoisonnée par un narcissisme envahissant. Frears dit à propos de ce film dont il ne cache pas qu'il fût le plus difficile à réaliser de sa carrière : "Tout a l'air futile et spirituel chez Colette mais la tristesse se cache sous ce vernis, les sentiments sont suggérés. J'aime les écrans de fumée, ce qui n'est pas dit." Et il avoue qu'il lui a fallu sans cesse osciller entre le champagne, le brillant et le sombre, le tragique. Ce qui en résulte est un film élégant qui unit avec subtilité la méditation sur le temps qui passe et la comédie de moeurs. S'y exhibe une panoplie de sentiments qui couvre un large spectre, allant de la perversité narquoise à la résignation digne. Dans ce duo qui pourrait très vite sombrer dans le ridicule, Frears, comme l'avait fait Colette, nous rend attachants et proches un jeune dandy creux et décadent et une cocotte délicieuse qui brûle en sa compagnie les derniers feux de sa beauté et nous montre, par là même, que ces gens apparemment frivoles souffrent autant, sinon plus que les autres, pour toutes sortes de raisons que nous n'avons pas de mal à deviner, puisqu'ils ont misé leur existence sur le superflu et l'éphémère.


Si le film éblouit par ses qualités esthétiques et la rigueur de sa mise en scène, l'accent doit être mis également sur son interprétation et principalement sur la composition admirable que Michelle Pfeiffer  fait de son personnage de séductrice confrontée à son proche déclin. Alors que celui de Chéri, joué par  Rupert Friend,  manque de conviction et de charisme ( sans doute une erreur de casting ), elle est ni plus ni moins sensationnelle. Encore très belle, mais fragilisée par une fin de règne envisagée avec une fière résignation, elle en trahit la secrète douleur par un regard, un tremblement d'épaule ou, simplement, en se figeant pour mieux exprimer le désarroi des amours finissantes. Cousue sur elle comme la robe de l'ultime apparition, elle colle à son personnage, s'y fond avec une grâce émouvante, toute de retenue et de gravité, de nostalgie et de subite insouciance, et trouve dans ce rôle majeur sa vraie consécration d'actrice. Le film mériterait d'être vu, ne serait-ce que pour elle.

Une mention spéciale pour de  Kathy Bates  formidable dans celui haut en couleur de Madame Peloux.



Pour lire l'article sur Michelle Pfeiffer, cliquer sur son titre :   MICHELLE PFEIFFER - PORTRAIT

 

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CHERI de STEPHEN FREARS
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17 mars 2009 2 17 /03 /mars /2009 11:48
VALSE AVEC BACHIR de ARI FOLMAN

     

Troisième film du cinéaste israélien Ari FolmanValse avec Bachir  est un mélange réussi entre dessin animé, enquête documentaire et chronique de guerre, qui mêle de façon étonnante la beauté des images à l'horreur du sujet. Ce récit inaugural par son originalité suscite d'emblée la prise de conscience de cette période, où des phalangistes chrétiens alliés à des Israéliens massacrèrent des centaines de civils pour venger l'assassinat de Bachir Gemayel, leur chef charismatique. La richesse de ce film réside dans la singularité du propos, soit la dénonciation de l'absurdité de la guerre, la distorsion fantasmagorique des témoignages qui tentent de rendre la mémoire au héros principal, et une certaine forme de déréalisation par rapport au drame de Sabra et Chatila. Aussi ce film-événement mérite-t-il d'être vu de par sa qualité et l'interrogation qu'il soulève sur les aveuglements d'une humanité égarée. L'auteur y évoque un épisode de son passé lorsqu'il fit son service militaire et fut envoyé à Beyrouth lors de la guerre du Liban en 1982. Il explore son inconscient, raconte ses nuits troublées par des cauchemars, cherche à comprendre ce qui le hante, remonte à la source de ses tourments, retrouve la trace de ce qu'il a vu, vécu et occulté.

 

Imaginaire et objectivité sont donc les ingrédients de ce cocktail qui a nécessité quatre années de travail. Ce film a été la sensation du Festival de Cannes 2008 et fut curieusement écarté du palmarès, à la surprise générale. Ainsi la structure narrative mélange-t-elle le présent morose et le passé honteux dans le même tumulte d'images.

 

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VALSE AVEC BACHIR de ARI FOLMAN
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3 janvier 2009 6 03 /01 /janvier /2009 12:41
PARFUM DE FEMME de DINO RISI

                                                                                            

On sait que les années 70 ont été pour le cinéma italien un âge d'or et que la comédie y a tenu une large place, servie par des cinéastes comme Scola, Comencini, Monicelli et Risi. Ils offrirent à un public enthousiaste des films d'une qualité rare qui savaient conjuguer l'optimisme et son contraire et nous livrer une peinture ironique et décapante de la société italienne. Parfum de femme ( 1974 ) en est la parfaite illustration, bien que les préoccupations spirituelles ne soient pas exclues, d'où une lecture à plusieurs niveaux.

 

Fausto (Vittorio Gassman),  ancien capitaine de cavalerie, est devenu aveugle à la suite d'un accident qui lui a coûté également la perte de sa main gauche. Fier et lucide, il ne peut accepter cette déchéance et a décidé secrètement d'en finir avec cette existence humiliante, en projetant de mettre un terme à ses jours. C'est la raison pour laquelle il a glissé dans ses bagages un revolver, ainsi que la photo d'une jeune fille qu'il a connue avant de perdre la vue, alors qu'il s'apprête à partir pour Naples, sa ville natale, rejoindre un ami aussi handicapé que lui, accompagné de son jeune ordonnance Ciccio (Alessandro Momo). Irascible et flamboyant, il ne reste à ce fauve blessé que le parfum des femmes et l'alcool pour réordonner sa vie autour d'un désir implacable, bestial et dionysiaque. Son  road-movie pittoresque le conduit d'abord à Gênes où il ira se distraire un moment avec une prostituée, puis à Rome, ville qu'il n'aime pas comme tant d'autres choses, afin d'y rencontrer un ami prêtre auquel il demande sa bénédiction, mais qui le rassure en lui disant que ses souffrances d'aveugle lui ont déjà gagné son salut. Enfin lui et son ordonnance arrivent à Naples, où tous deux s'installent chez Vincenzo, aveugle comme Fausto et ancien officier du même corps d'armée. Parmi les servantes qui assurent le service de leurs repas, il y a la fille de la restauratrice Sara ( Agostina Belli ), 20 ans, belle comme le jour, qui, depuis des années, l'aime avec discrétion d'un amour absolu. Néanmoins, Fausto la repousse avec brutalité, comme il repousse tout le monde, son jeune ordonnance entre autre, tour à tour exaspéré et fasciné par cet être flamboyant et cruel. Mais comment pourrait-il aimer, cet homme qui ne s'aime pas lui-même, et dont le cynisme et l'insolence sont la seule parade ?

 


Grand classique, ce film est l'emblème d'un style aujourd'hui disparu, bien qu'il n'ait pas pris une ride et soit toujours d'actualité, tant le langage agressif et provocant de Fausto, sonne juste. D'une grande subtilité, l'art de Dino Risi parvient à faire se succéder le comique et le tragique, car nous ne y trompons pas, Parfum de femme, toute comédie qu'il se revendique, est une tragédie permanente, la tragédie d'un homme handicapé qui refuse son état et qu'habitent une violence et une révolte de tous les instants. Les répliques et l'interprétation de Vittorio Gassman y sont pour beaucoup, dans la mesure où ce personnage s'illustre par son impudence et son humour féroce, dans des séquences comme celle où il lit dans un quotidien les petites annonces de dernière page. Son comportement belliqueux évite au scénario de céder au misérabilisme et donne, au contraire, à ce long métrage d'une extraordinaire intensité, sa verve et sa profondeur : celle d'une douleur qui refuse de s'avouer.
 


Satire de moeurs à l'italienne, Parfum de femme est admirablement interprété par des acteurs totalement spontanés et investis qui procurent au film sa couleur et son authenticité. Il est bien sûr préférable de le voir en version originale et d'en goûter le parler chatoyant. Agostina Belli est une touchante madone empreinte de grâce et toute offerte à cet amour sans calcul, le jeune acteur Alessandro Momo, tantôt exaspéré, tantôt subjugué par son irascible maître, apporte une note de fraîcheur et de naïveté auprès d'un Gassman époustouflant de cruauté désespérée, homme brisé qui, par lucidité, se refuse à tout apitoiement et même à l'amour de cette jeune fille, tant il craint que celui-ci ne lui soit inspiré par la pitié. Cela jusqu'au moment où l'amour à l'oeuvre, après son suicide manqué, l'éblouira de sa lumière au point de le jeter à terre. Toute sa haine pour le monde et pour lui-même sera effacée et, ayant renoncé à la mort, il pourra partir, au bras de Sara, recommencer la vie.  

  

Pour prendre connaissance des articles consacrés à Vittorio Gassman et  Dino Risi, cliquer sur leurs titres :  

 

DINO RISI         VITTORIO GASSMAN

 

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PARFUM DE FEMME de DINO RISI
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21 décembre 2008 7 21 /12 /décembre /2008 10:31
LOLA MONTES de MAX OPHULS

      
Lola Montès,  film réalisé en cinémascope et couleur et dernier opus de Max Ophüls, a été restauré récemment avec le soutien de la fondation Thomson et du Fonds culturel franco-américain. Bien que défendu par des personnalités comme Rossellini, Truffaut ou Cocteau lors de ses premières projections en 1955, le film avait été un échec retentissant, si bien que pour tenter d'obtenir l'adhésion du public, les producteurs n'avaient pas hésité à le mutiler gravement. Désormais, après des mois d'un travail minutieux, nous retrouvons le montage initial, les couleurs, le son et le format d'origine. C'est une vraie résurrection d'un des chefs-d'oeuvre du cinéma qui nous est offert grâce aux efforts conjugués des sponsors et des  spécialistes. 

 

 

Le fils de Max Ophüls, Marcel, avait travaillé avec son père sur ce long métrage tourné en anglais, allemand et français. Dans une lettre très émouvante, datée du 10 avril 2008, Marcel Ophüls se souvient de la première séance de Lola Montès, l'après-midi du 23 décembre 1955, au cinéma Le Marignan, sur les Champs-Elysées : "Au-dessus de l'entrée du cinéma, une affiche énorme, d'un goût douteux, placardait en lettres et en images les charmes incontestables, discrètement révélés, de la grande vedette française du moment Martine Carol. Il pleuvait à torrents. Assis tous deux en face dans un café, mon père, un peu plus pâle que d'habitude, sirotait lentement un tilleul-menthe, ses mains serrées très fort autour de la tasse, comme si celle-ci pouvait encore lui réchauffer le moral et éviter la catastrophe".

 

 

Rien n'y fit. Les spectateurs, sortis de la première séance, allaient convaincre ceux qui patientaient sous la pluie de "ne pas perdre de temps sous l'averse et leur conseiller vivement de rentrer chez eux".
Les premières critiques reflétaient la mauvaise humeur de ces inconnus. "L'esthétique du gargouillis et du borborygme se mêle dans Lola Montès à l'esthétique de la crème fouettée"-  écrivait Jean Dutourd, tandis que Les Lettres françaises déploraient - "la lourdeur germanique de ce film qui au moins aurait dû être affriolant, coquin et capiteux".
Le jeune François Truffaut, qui avait failli devenir l'assistant de Max Ophüls, fut l'un des rares à trouver ce film admirable. Au point de s'engager corps et âme dans sa défense. Il rallia à sa cause Rivette et Godard, et s'engagea alors dans Arts : "Faudra-t-il combattre, nous combattrons. Faudra-t-il polémiquer, nous polémiquerons"... Depuis Paris, le jeune turc de la cinéphilie rendait compte quotidiennement à Max Ophüls, en mauvaise santé dans un sanatorium de la Forêt-Noire, des menaces qui planaient sur son film, tant en France qu'en Allemagne.

 

 

A la version originale de décembre 1955 succéda celle de février 1956, dans laquelle les dialogues allemands furent remplacés par des voix françaises postsynchronisées, et enfin celle de 1957, remontée contre la volonté de Max Ophüls, l'histoire étant replacée dans un ordre chronologique, accompagnée d'une voix off.


 


Echec injustifié car le film est superbe et fut heureusement réhabilité et porté aux nues par les jeunes cinéastes qui virent en Ophüls un créateur aussi singulier qu'un Robert Bresson et se reconnurent, pour certains d'entre eux, dans sa filiation.
Si le film se montrait infidèle à la vérité historique ( comme le best-seller dont il s'inspirait ), il est remarquable à plus d'un titre : son ton onirique, ses recherches de couleurs, le foisonnement de trouvailles et la vivacité du style qui parviennent à balayer quelques extravagances superflues. A travers cet opus, le cinéaste peint le monde tel qu'il le voit : un cercle infini de hasards et de concordances, des couleurs flamboyantes où s'imbriquent l'or et la pourpre, une suite de tableaux qui préside à la finalité d'un monde sombrant de façon tapageuse et arrogante dans une irréversible décadence.

 


Sous la direction d'un manager, habillé en Monsieur Loyal (Peter Ustinov formidable), le film nous conte l'histoire de Lola Montès, comtesse déchue, réduite par la misère à exhiber son brillant passé à un public indiscret, dévoilant les secrets de ses liaisons amoureuses avec des amants célèbres comme Franz Liszt et Louis Ier de Bavière, excitant ainsi sa jalousie, son acrimonie et sa pitié. Spectacle cruel d'une déchéance qui nous retrace en une suite de flash-backs des heures de gloire et de folie, selon une magistrale orchestration d'images. Martine Carol y trouvait là son plus beau rôle sous la direction d'un metteur en scène qui avait voué son oeuvre à dénoncer le sort réservé aux femmes par une société indigne et perverse. Bien conduite, l'actrice y apparaît belle et émouvante, très différente des personnages de blonde écervelée qu'on lui confiait habituellement. Une fois encore, le malheur frappait une femme amoureuse et bouclait, en une sorte d'apothéose, une oeuvre de toute première grandeur qui honore, ô combien ! notre 7e art. François Truffaut, fidèle à sa conception du cinéma, lui rendra un vibrant hommage, mais le cinéaste, hélas ! était déjà mort, ne s'étant pas remis de ce douloureux désastre professionnel.


 


Cette oeuvre magnifique sort enfin et définitivement de son purgatoire, après avoir connu l'enfer. Et ce n'est que justice. La version rénovée permet aux spectateurs d'apprécier le travail sur les couleurs de Christian Matras et les décors de Jean d'Eaubonne et nous offre la visualisation des passages supprimés en 1956 qui tous accentuent le côté crépusculaire du film : fuite en calèche à Munich, désespoir de Lola sur le pont du navire. D'autre part, nous retrouvons ici les préoccupations majeures du metteur en scène, peintre incomparable des désillusions amoureuses, comme ce l'était déjà dans La ronde ou Madame de.., ou encore dans Lettre d'une inconnue, d'après le roman de Stefan Zweig.

 


Quant au style, il est celui d'un Ophüls au faîte de son génie, baroque et inventif, qui sait mieux que personne traduire les vertiges et les désespoirs. Alors que le public s'était offusqué de cette mise en perspective d'une ancienne courtisane livrée de façon obscène à la vindicte populaire, le film apparaît au contraire comme une dénonciation de la société du spectacle, ce qui le rend d'autant plus percutant à l'époque de la télé-réalité ; le calvaire de Lola obligée de livrer à des voyeurs des pans entiers de sa vie intime et qui finit comme un animal de cirque dans une cage est à ce titre révélateur.

 


Inspiré d'un roman de Jacques Laurent,  Lola Montès sera transformé de façon magistrale par le cinéaste, au point que l'on peut se demander si la faiblesse du document littéraire n'a pas contribué à cette transcendance cinématographique qui donne à l'histoire déchirante et romanesque de cette courtisane son caractère universel. On parla à propos de cette dernière oeuvre de Max Ophüls d'un film-testament, tellement il est la somme de l'imaginaire et des innovations du maître dans le domaine du 7e Art. Ainsi le jeu des couleurs qui accentue la charge poétique et participe de façon symbolique à la compréhension du récit. Chacun des épisodes possède sa couleur dominante chargée d'évoquer une saison, mais plus subtilement les états d'âme de l'héroïne. Ustinov, pour sa part, a parlé de la manière dont le cinéaste dirigeait ses acteurs, selon un dosage très pédagogique de précision et de souplesse, afin de créer un climat de confiance et par là même d'obtenir d'eux, comme des décorateurs, caméramans et autres collaborateurs, ce qui lui tenait le plus à coeur : l'excellence.

Pour lire mon article consacré à Max Ophuls, cliquer sur son titre :   

 

MAX OPHULS ET LE CINEMA BAROQUE

 

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LOLA MONTES de MAX OPHULS
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14 décembre 2008 7 14 /12 /décembre /2008 10:38
THE DUCHESS de SAUL DIBB

The duchess de Saul Dibb, est le film idéal à voir pendant la période des fêtes. Tous les ingrédients sont réunis pour notre plaisir : la splendeur des tableaux, la flamboyance des images et costumes, le romanesque revisité avec talent par ce metteur en scène et, enfin, une interprétation - made in England  - d'une efficacité avérée.

  
Giorgiana Spencer, ancêtre de Lady Diana, dont le destin n'est pas sans évoquer celui de la princesse de Galles, mena une existence conflictuelle au sein de sa propre famille à la fin du XVIIIe siècle. Belle, charismatique et élégante, elle brillait par la vivacité de ses répliques et l'audace de ses toilettes, au point de devenir très populaire auprès du peuple et véritable icône de la mode auprès des aristocrates. Malheureusement cette féministe avant l'heure sera contrainte d'accepter, sous son toit, la présence de la maîtresse de son époux, le duc de Devonshire. Cette offense, qui la blesse profondément, l'incitera à s'engager dans la vie publique et à mener campagne pour le parti libéral, jouant de son esprit frondeur et de son charme pour tenter de faire avancer la cause des femmes.  A l'évidence, sans grand succès.


Mariée dans sa prime jeunesse par une mère qui souhaitait conserver le prestige de son rang, elle se trouve livrée, en son âge tendre, à un époux qui n'attend d'elle que deux choses : qu'elle lui donne un héritier et se montre docile. Au grand dépit de ce dernier, la charmante Giorgiana met tout d'abord au monde deux filles mais accepte d'élever, comme la sienne, une enfant qu'il a eue d'une de ses nombreuses liaisons et dont la mère est morte. L'absence d'héritier rend le duc ombrageux et l'éloigne d'une jeune épouse qu'il n'a jamais aimée. A la suite d'une violente dispute, il abuse d'elle et, de cette étreinte brutale, naîtra enfin l'héritier tant souhaité. Mais Giogiana ne supporte plus la froideur de son mari et la présence, dans sa demeure et son intimité, de la maîtresse de celui-ci - son ancienne amie - aussi part-elle se reposer à Bath, dans l'un des châteaux de la famille, avec le secret désir d'y retrouver l'homme qu'elle aime et qui partage ses idées libérales : Charles Grey. De leur amour passionné va naître une petite Elisa que le duc, mis au courant, l'a priée d'aller mettre au monde en cachette, dans une résidence sise en pleine campagne. Charles Grey lui propose de l'épouser, mais elle ne peut accepter cette solution, qui va dans le sens de ses propres sentiments, sans risquer de perdre ses autres enfants. Aussi retourne-t-elle, contrite et forcée, auprès du duc de Devonshire et de sa maîtresse, le coeur brisé d'être éloignée de cette petite fille que le père se charge d'élever. La fin de l'histoire nous dit que Giorgiana restera, jusqu'à sa mort, très populaire et courtisée, mais toujours aussi malheureuse, tenant son rang par la force des choses dans une société corsetée par les usages où, sous le couvert de l'honneur, tous les déshonneurs sont permis. 

 

En s'attachant au parcours singulier de cette séduisante duchesse, inspiré de la biographie de Amanda Foreman, Saul Dibb  nous livre une adaptation cinématographique plaisante mais sans grande originalité, dont le principal mérite réside en une mise en scène soignée où les tableaux qui se succèdent, plus beaux les uns que les autres,  nous montrent éloquemment combien difficile était la condition de la femme à une époque où, soumise à l'autorité impérieuse d'un mari tout puissant, elle était dans l'impossibilité d'acquérir, ne serait-ce qu'un semblant d'indépendance, aussi affirmées et intrépides que soient sa nature et sa personnalité.

 

Le rôle de Giorgiana Spencer est campé avec grâce par Keira Knightley, dont la silhouette longiligne fait merveille dans des toilettes élaborées ; celui de sa mère par l'excellente Charlotte Rampling qui affiche une attitude glaciale à souhait dans ce rôle de femme soucieuse de préserver sa position sociale et les avantages qu'elle suppose, tandis que Ralph Fiennes  joue celui d'un duc de Devonshire mufle et brutal de façon détachée et quelque peu absente. Un réalisation fastueuse comme les britanniques savent le faire dès qu'il s'agit d'évoquer une Grande-Bretagne magnifiquement démodée et, néanmoins, éternelle.

 

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THE DUCHESS de SAUL DIBB
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3 septembre 2008 3 03 /09 /septembre /2008 09:30
LUDWIG de LUCHINO VISCONTI

                                                      
La restitution de la version originale de Ludwig ou le crépuscule des dieux de Luchino Visconti, film testament tourné trois ans avant sa mort, est une initiative heureuse. A l'époque, le cinéaste travaillait à une adaptation de  A la recherche du temps perdu de Marcel Proust et, dans l'attente du financement qui finalement ne se concrétisera jamais, avait décidé de tourner Ludwig. Mais ce nouveau projet rencontrera à son tour des difficultés économiques et nécessitera une coproduction entre l'Italie, la France et l'Allemagne. Le tournage aura lieu du 31 janvier au 15 juin 1972 avec le soutien de la famille Wittelsbach et des autorités bavaroises, l'une prêtant de nombreux souvenirs familiaux, l'autre accordant l'autorisation de tourner en décor naturel. A l'époque, une biographie sur un roi protecteur des arts, rêveur et hostile à la guerre, semblait un excellent moyen de contribuer à l'effacement des mauvais souvenirs nazis. Au moment du tournage, Visconti, âgé de 64 ans, est victime d'une attaque. Malgré tout, à force de volonté, il terminera le montage d'une oeuvre qui dure plus de 4 heures. Bien entendu, les producteurs refuseront de distribuer un film aussi long. Visconti propose alors de le diviser en deux époques de deux heures chacune, mais le film finit par sortir en une version tronquée en 1973. En Allemagne, la version sera réduite à deux heures dix et on coupe volontairement toutes les scènes qui font allusion à l'homosexualité du souverain, tandis qu'en Grande-Bretagne et en France, c'est une version de deux  heures qui est diffusée. L'accueil de la critique sera excellent et Claude Mauriac n'hésitera pas à parler du génie de Visconti et Jean-Louis Tallenay, apprenant les problèmes de santé du cinéaste, écrira : " Le crépuscule des dieux ressemble à un testament tragique d'un auteur hanté par la mort qui dénonce toutes les raisons de vivre, tout amour, toute foi en l'avenir et même ce dernier refuge : l'art, la musique, le théâtre auxquels il a voué sa vie, tous parlent de tragédie." Visconti disparaît trois ans plus tard sans avoir revu "Ludwig" et sans avoir pu y retoucher. Le film est vendu aux enchères par les producteurs en faillite, est adjugé pour 68 millions de lires à des proches du cinéaste qui se cotisent, avec le soutien de la RAI, afin de récupérer l'intégralité des bobines. C'est grâce à eux que nous pouvons le revoir dans sa version originale et non amputée d'une part de ses scènes ; oeuvre d'une beauté stupéfiante et riche d'une dramaturgie magistralement interprétée par Helmut Berger, saisissant dans le rôle de Louis II de Bavière, et par une Romy Schneider absolument impériale.
 

 

Ce long métrage, immergé dans des paysages et des décors d'une splendeur incroyable, est parcouru par les musiques de Schubert et Wagner comme une symphonie tragique et puissante, où l'on voit un roi changer sa vie en légende et poser à la face d'un monde, entrer en agonie (ce sera celle de 1914) et enfin improviser l'énigme d'une mort annoncée et sublimée. Pas un seul plan qui ne soit un tableau, une seule image qui n'exerce sur nous son irrésistible séduction. Fascination aussi d'un personnage que la réalité des choses ne peut combler et qui s'évade du quotidien dans un songe exaltant et désespéré et s'invente un univers où les arts sont présents, principalement l'architecture, la poésie et la musique. Et quelle poésie, quelle musique ?  Celle de Wagner bien sûr, le maître incontesté qui offre au roi un autre royaume, celui des sons. A eux deux, ils vont transformer la Bavière en un pays qui, aujourd'hui encore, fascine les touristes, lieu mythique et quasi imaginaire où l'on se rend pour retrouver tout ensemble le magicien de Bayreuth et les châteaux hantés par le roi fou. Mais fou, l'était-il ce prince qui aspirait à régénérer la culture allemande et rêvait d'un monde idéal et pacifié, gouverné par les arts ? Ce rêve ne pouvant se réaliser, Louis II assiste impuissant à l'éloignement de ses proches et de sa cousine bien aimée Elisabeth, qu'agace l'influence de plus en plus grande que le musicien exerce sur lui, et se réfugie chaque jour davantage dans la solitude et bientôt la démence, devenant un étranger pour lui-même et les autres. Itinéraire déchirant d'un être hyper sensible et vulnérable qui cherche son épanouissement dans l'inaccessible et se refuse à obéir aux impératifs de sa fonction. Helmut Berger campe ce héros avec une force impressionnante. Il est Louis II tout autant dans sa démesure que dans ses faiblesses, dans sa folie que dans sa clairvoyance, lorsqu'il envisage un monde meilleur qui saurait placer la beauté au-dessus des rivalités de cour et des soucis mercantiles. Il nous apparaît tour à tour insupportable et bouleversant, hautain et timoré, indifférent et passionné, et imprègne la pellicule de sa présence obsédante, de même qu'il nous hante de sa complexité grandiose, de ses regards, de ses attitudes, tandis que Romy Schneider traverse le film inaccessible et déjà happée par son implacable destin.



Pour lire les articles que j'ai consacrés à Visconti et Romy Schneider, cliquer sur leurs titres :


 

LUCHINO VISCONTI OU LA TRAVERSEE DU MIROIR   

       

 

ROMY SCHNEIDER - PORTRAIT

 


Et pour consulter la liste complète de la rubrique CINEMA EUROPEEN & MEDITERRANEEN, dont les films de Visconti, cliquer sur le lien ci-dessous : 

 

LISTE DES FILMS DU CINEMA EUROPEEN ET MEDITERRANEEN

 

 

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LUDWIG de LUCHINO VISCONTI
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19 août 2008 2 19 /08 /août /2008 08:32
AMARCORD de FELLINI

                    
Qui n'a pas rêvé un jour ou l'autre de remonter le temps et de replonger dans l'univers toujours idéalisé de l'enfance ? C'est sans doute le moteur de toute création. Pour s'en tenir au seul 7e Art, nous citerons Zéro de conduite de Vigo, Les quatre cents coups de Truffaut, Mes petites amoureuses de Jean Eustache, sans oublier Rêves de Kurosawa. Mais Federico Fellini a poussé plus loin encore cette introspection dont il était le familier. Chacun de mes films se rapporte à une saison de ma vie - avait-il l'habitude de dire et, il est vrai, que son oeuvre n'est autre que le miroir d'événements vécus par lui-même ou ses proches, volontiers sublimés ou remaniés en vue d'un impact spectaculaire, ce qui ira grandissant depuis Courrier du coeur  (1952), rappel de ses débuts dans le journalisme, à Investita (1987), en passant par Huit et demi (1962), l'acte d'introspection à l'état pur. Je me borne à liquider mes stocks accumulés dans mes magasins - avouait-il par ailleurs, un rien provocateur car très conscient qu'il cédait souvent à une certaine complaisance narcissique.


Amarcord (1974) constitue le point fort de cet inventaire. Nous sommes dans une ville imaginaire au bord de l'Adriatique qui n'est pas sans rappeler Rimini, lieu de naissance de Fellini, autour des années 30. Un enfant du pays, Titta, va faire l'apprentissage de la vie, d'une vie jalonnée d'épisodes cocasses, entre scènes familiales et train-train scolaire, spectacle imposant et dérisoire de parades fascistes et éveil de la sexualité. Ainsi l'auteur se livre-t-il à une chronique de la province italienne d'avant-guerre et à un croquis pittoresque, en faisant de son petit héros en pèlerine le fil conducteur de l'ouvrage, glissant vers la nostalgie d'un "bon vieux temps" qui fut tout de même le vivier du fascisme. On ne manquera pas de le lui reprocher. Aucune attitude réactionnaire ou conservatrice de ma part - rétorqua-t-il. Je reste sur le plan humain et poétique

 

amarcord-still-6.jpg


Amacord signifie " je me souviens" en patois d'Emilie-Romagne. Mais il existe quelques fantaisies lexicales. Des exégètes ont fait remarquer que le terme peut se décomposer en amare (aimer) amaro (amer) ou cuore (coeur). Disons qu'il s'agit d'un mot gigogne, d'un sésame en mesure d'ouvrir la caverne enchantée du cinéaste. Le but final n'étant pas comme à l'habitude de métamorphoser la réalité et de l'enrichir des apports fructueux de l'imaginaire ?  Et il faut bien convenir que sur ce plan là nous sommes servis, tant le petit monde d'Amarcord est un capharnaüm qui tient de l'opéra bouffe et de la commedia dell'arte, de la salade fortement assaisonnée de dialectes divers - ce qui a nécessité un sous-titrage même pour les Italiens -  et du maelström d'images et de bavardages où l'irréel n'en finit pas de se mêler au réel. Selon le critique Jean-Louis Bory : le déchaînement d'un carnaval sinistre, où s'agitent des pantins aussi funèbres que minables, qui risquerait, à la longue, d'être affligeant si le souffle poétique ne venait pas sans cesse le vivifier.


BDDefinitionAmarcord-1-1080.jpg 

 

Poétique mais politique également, grâce à la virulence qui stigmatise un fascisme au quotidien, non point son idéologie triomphante mais son aspect boursouflé, ses grotesques floralies, évocations qui se révèlent être plus efficaces que le procès le mieux argumenté. Film baroque par excellence, ce dernier doit beaucoup au talent du chef-opérateur Giuseppe Rottuno, collaborateur attitré de Fellini depuis Histoires extraordinaires (1968) et qui a travaillé également pour Visconti et Monicelli, ainsi qu'au compositeur Nino Rota dont la ligne mélodique s'accorde parfaitement à l'inventivité débridée du réalisateur. Un film à voir et à revoir tant le génie du cinéaste italien s'y exprime en toute liberté avec une vigueur et un lyrisme que n'auront pas toujours ses films ultérieurs, mélange détonnant de satire sociale et de fantasmagorie.

 


Pour lire l'article que j'ai consacré à Fellini, cliquer sur son titre :   FEDERICO FELLINI

 

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20 juin 2008 5 20 /06 /juin /2008 09:20
RETOUR A HOWARDS END de JAMES IVORY

                          
James Ivory a pour particularité d'être un américain très britannique, si bien que les qualités même de son cinéma découlent de cette particularité : étranger partout, le cinéaste semble contempler d'autres mondes, partagé entre l'émerveillement et l'humour. La distance qu'il entend préserver à l'égard de ses sujets étant essentielle à ses yeux, il a toujours fui le conformisme. Ce qu'il souhaite est de poser sur les êtres et les choses un regard dénué de tout à-priori et enclin à un détachement qui n'est pas dépourvu de tendresse et de complicité. Cette dualité donne son sel à ses films et principalement à "Retour à Howards End" (1991), l'un de ses grands chefs-d'oeuvre qui, comme "Chambre avec vue" et "Maurice"  est inspiré d'un roman de E.M. Forster. Margaret Schlegel (Emma Thompson), une jeune femme émancipée aux idées avancées, se lie d'amitié avec Ruth Wilcox (Vanessa Redgrave), la femme du riche propriétaire de l'Impérial Caoutchoux, un homme traditionnaliste s'il en est. Or, Ruth qui sent sa fin prochaine, décide de céder sa demeure de Howards End à son amie Meg, dont elle a décelé le nature profondément artiste et sensible. Furieux d'être ainsi dépossédés de leur bien au profit d'une inconnue, les Wilcox s'arrangent de façon à dépouiller la jeune femme de cet héritage et de se le réapproprier. Le destin, par de curieuses circonvolutions, en décidera autrement.

                         


Cette troisième adaptation d'un roman de Forster réunit la même équipe, le même scénariste et le même producteur et prend comme cadre de référence la société britannique de l'époque, sans pour autant que l'auteur se répète, car ce film est une réussite absolue, une petite merveille dans l'univers cinématographique. Il est vrai que c'est en creusant sans cesse le même sillon que l'on donne le meilleur de soi-même et que l'on édifie une oeuvre d'une qualité aussi remarquable. Sans nul doute, celle de James Ivory l'est pour toutes sortes de raisons : l'allégresse communicative avec laquelle il mène son récit, le regard gentiment ironique qu'il pose sur ses personnages, la grâce de sa mise en scène, la splendeur de ses décors, le côté très aquarellé de ses images, sa direction d'acteurs irréprochable et le soin extrême apporté à la narration. Tout est parfait et d'une rare élégance. Fantaisie, charme caractérisent ce long métrage délicieux qui, maintes fois vu et revu, ne perd rien de sa saveur tant elle est agréable à l'oeil et à l'oreille, et, parce que le sujet traité est en fin de compte inusable, indémodable, simplement parce qu'il relève d'une permanence de la nature humaine. Amour et amitié, confiance et trahison, arrogance et humilité, cloisonnement des classes sociales, tout cela, qui perdurera aussi longtemps que l'homme, est abordé avec finesse et impartialité. L'être est ainsi fait et Ivory l'évoque d'une facture déliée, plaisamment ciselée, pour notre plus grand bonheur. Orfèvre en la matière, il a su choisir ses acteurs. Rarement Emma Thompson n'a été aussi convaincante, drôle et vive, charmante et émouvante, délicate et futile, face à un Anthony Hopkins, glaçant en décideur autoritaire et chef de famille soucieux de ses prérogatives. Un rien de tendresse viendra cependant atténuer la froideur de son regard et lui conférera un sursaut d'humanité. Ce sont ces petits détails-là que James Ivory s'attache à montrer, sans jamais appuyer le trait, en glissant, en feutrant, en jouant de toute la gamme des sentiments et de leur complexité. Quel régal !



Pour lire les articles consacrés à James Ivory et à l'actrice  Emma Thompson, cliquer sur leurs titres :   


JAMES IVORY OU GRANDEUR ET DECADENCE DES CIVILISATIONS         

 

EMMA THOMPSON    



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RETOUR A HOWARDS END de JAMES IVORY
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  • : LA PLUME ET L'IMAGE
  • : Ce blog n'a d'autre souhait que de partager avec vous les meilleurs moments du 7e Art et quelques-uns des bons moments de la vie.
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  • Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE
  • Auteur de treize ouvrages, passionnée par les arts en général, aime écrire et voyager.
  • Auteur de treize ouvrages, passionnée par les arts en général, aime écrire et voyager.

Texte Libre

Un blog qui privilégie l'image sans renoncer à la plume car :

 

LES IMAGES, nous les aimons pour elles-mêmes. Alors que les mots racontent, les images montrent, désignent, parfois exhibent, plus sérieusement révèlent. Il arrive qu'elles ne se fixent que sur la rétine ou ne se déploient que dans l'imaginaire. Mais qu'elles viennent d'ici ou d'ailleurs, elles ont l'art de  nous surprendre et de nous dérouter.
La raison en est qu'elles sont tour à tour réelles, virtuelles, en miroir, floues, brouillées, dessinées, gravées, peintes, projetées, fidèles, mensongères, magiciennes.
Comme les mots, elles savent s'effacer, s'estomper, disparaître, ré-apparaître, répliques probables de ce qui est, visions idéales auxquelles nous aspirons.
Erotiques, fantastiques, oniriques, elles n'oublient ni de nous déconcerter, ni de nous subjuguer. Ne sont-elles pas autant de mondes à concevoir, autant de rêves à initier ?

 

"Je crois au pouvoir du rire et des larmes comme contrepoison de la haine et de la terreur. Les bons films constituent un langage international, ils répondent au besoin qu'ont les hommes d'humour, de pitié, de compréhension."


Charlie Chaplin

 

"Innover, c'est aller de l'avant sans abandonner le passé."

 

Stanley Kubrick

 

 

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