Cambridge 1910. Maurice, un jeune bourgeois, ressent une profonde attirance pour Clive, un aristocrate qui étudie le droit. Plus tard, devenu agent de change, il continue à fréquenter le jeune homme mais tous deux décident d'en rester à une amitié tout platonique. Requis pour défendre Risley, un de leurs camarades de promotion accusé de corruption, Clive refuse, mais est bientôt taraudé par un double remords et tombe malade, au point de partir pour la Grèce se refaire une santé au soleil. A son retour, il se marie et repousse l'amitié de Maurice et la tentation de céder à un penchant qui ne l'a pas quitté. Ce dernier, désespéré, prend d'abord son état en horreur, puis choisit, avec le jeune garde-chasse, de l'assumer pleinement, se doutant bien qu'il en paiera lourdement les conséquences.
Je crois que ce film magnifique est l'oeuvre la plus belle que j'ai vue sur l'homosexualité, traitée par le cinéaste avec autant de tact, de délicatesse que d'intelligence. Inspiré comme Chambre avec vue (1986) d'un roman de E.M. Forster, les héros de Maurice (1987) sont eux aussi la proie de conflits intérieurs. Doivent-ils se soumettre aux exigences de la morale commune en cette ère victorienne très répressive à l'égard des moeurs ou laisser libre cours à leurs penchants ? La réponse commune de Forster et Ivory est sans équivoque : on peut trouver l'équilibre comme Lucy ou Maurice en assumant sa sexualité ou se dessécher comme Cecil, Charlotte ou Clive en refusant de passer outre aux diktats de l'ordre social. Mais une différence de taille sépare les deux films : alors que les héros de Chambre avec vue sont hétérosexuels, ceux de Maurice sont homosexuels et le combat qui s'annonce entre leur nature et la société n'en est que plus douloureux. James Ivory, très à l'aise dans ce genre d'atmosphère tout ensemble sophistiquée et subversive, excelle à créer un climat pesant et feutré, où les gestes, les regards, les silences sont plus éloquents que les mots. Son style est particulièrement bien adapté à une époque finissante, sertie dans son luxe raffiné et ses manières courtoises, dont la rétention des sentiments avait été érigée en un véritable art de vivre.
Par ailleurs, il faut reconnaître au cinéaste une justesse de ton jamais prise à défaut. James Ivory sait déployer les fastes de l'époque avec un constant souci esthétique : demeures ancestrales, robes à corsets, objets précieux, lourdes tentures, intérieurs cossus, aidé en cela par des directeurs de la photo comme Tony Pierce Roberts pour Chambre avec vue et Pierre Lhomme pour Maurice. Ce monde est animé par des comédiens attentivement sélectionnés, de façon à ce qu'ils coïncident au plus près à leurs personnages. Il est vrai que Forster, lui-même professeur à Cambridge et homosexuel clandestin, connaissait mieux que quiconque ces êtres épris de liberté qui se heurtent à la norme et que Ivory, lui emboîtant le pas, a parfaitement transposé le climat du roman dans son film. Cet orfèvre en sentiments réprimés a trouvé, pour couronner le tout, déjà excellentissime, en James Wilby et Hugh Grant des interprètes idoines qui évoluent avec subtilité entre hardiesse, gêne et vulnérabilité. Un chef-d'oeuvre.
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JAMES IVORY OU GRANDEUR ET DECADENCE DES CIVILISATIONS
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