Avec ce second opus, dont le titre est malheureusement peu attrayant, Mélanie Laurent, déjà remarquée lors de sa première expérience de mise en scène avec «Les adoptés» où elle révélait un sens aigu du récit et une sensibilité audiovisuelle évidente, passe à la vitesse supérieure et nous assure, malgré son jeune âge, qu’elle sait parfaitement maîtriser un sujet difficile qui pouvait très vite sombrer dans les débordements mélodramatiques, ce qui n’est certes pas le cas ici. Son professionnalisme s’affirme avec éclat tout au long de l’histoire de deux adolescentes aux prises avec des disfonctionnements familiaux graves et un mal de vivre et de s’assurer dans une société en pleine mutation. Charlie (Joséphine Japy) et Sarah (Lou de Laäge) vont être attirées l’une vers l’autre, sans doute parce qu’elles sont à l’opposé l’une de l’autre comme les deux faces d’une jeunesse complexe et agitée. Charlie est une taiseuse au beau visage de madone, rendue quelque peu autiste par un père flambeur et irresponsable et une mère (Isabelle Carré) infantile malgré sa trentaine. Charlie se sent donc investie d’une sorte de gravité évanescente face à ce couple qui ne cesse de se déchirer et de se quitter.
Sarah est son contraire, plutôt mégalomane, une fille sensuelle et culottée qui se plaît à travestir la réalité et à provoquer pour mieux dissimuler une mère alcoolique et quasi folle, se complaisant dans une existence de funambule qui joue à chaque seconde son va-tout. Entre elles deux va naître une amitié tendre, non sans ambiguïté à un âge où la part qui revient à l’amitié et l’autre à l’amour n'est pas totalement clarifiée. Mais l’incompréhension s’installe bientôt, faute d’altruisme, d’écoute, de générosité affective. Les adolescentes sont encore sous le règne tout puissant de l’égo où chacune prend davantage qu’elle ne donne, tout en croyant donner. C’est ce don refusé qui les conduira au drame, elles qui traînent déjà deux fractures douloureuses : parentale et sociétale.
Bien écrit, bien conduit et surtout magnifiquement interprété par deux comédiennes remarquables, l’opus se tend au fur et à mesure comme un arc, ne nous laissant nullement distraire jusqu’à son implacable conclusion. Ici et là, on relève bien quelques faiblesses, le recours trop systématique à la cigarette qui ne peut manquer d'exaspérer les associations anti-tabagisme car on se croirait revenu, dans ce nuage de fumée, aux films des années 60, des dialogues souvent trop bavards et sans grande saveur mais, en contrepartie, de beaux moments de contemplation face à un coucher de soleil, à un visage qui se clôt, à un nuage qui s’attarde, à une mer soudainement immobile. Un film qui laisse son empreinte parce qu’il affirme la difficulté d’être, d’aimer, de s’accorder avec soi-même, qu’il dit encore et encore combien malaisée est l’adolescence, douloureuses les amitiés trahies, et étouffante la solitude intérieure.
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