GARDE A VUE de CLAUDE MILLER
Le 9 avril 2012, sur LA PLUME ET L'IMAGE

 

Au cœur d'un huis clos situé quelque part en France dans les bureaux de la PJ une nuit de la Saint-Sylvestre, Jérôme Martineau, notaire, interprété par Michel Serrault, s’escrime contre l’inspecteur Gallien (Lino Ventura). Appelé à témoigner sur le viol et l’assassinat de deux fillettes, le notable cynique et sans histoires se transforme en suspect numéro un. L’enquête en elle-même, dont on peut critiquer le dénouement un peu parachuté des cinq dernières minutes, n’est en fait qu’un formidable alibi pour visiter les arrières cuisines d’une petite bourgeoisie de province dévorée par sa médiocrité, sa mesquinerie et son vide humain. Une société que mai soixante-huit n’a pas changée d’un poil : les mêmes sauteries mondaines ankylosées par les mêmes conventions, la même génération de garces bien élevées paradant aux bras des mêmes bons partis  qui les gavent de fourrures véritables et de séjours à Ibiza.

 

Cependant, tandis qu’un Claude Chabrol aurait sans doute montré cela avec une acidité cruelle, Miller filme simplement l’humiliation de Jérôme Martineau tandis qu’Audiard le fait parler, sous la lumière blanche de l’investigation policière. Le hiatus langagier et psychologique qui opposent Martineau et Gallien, chacun « poursuivant son histoire », porte le film à un niveau exceptionnel de tension, triple palier qui peint à la fois une affaire criminelle, une société viciée et le cœur d’un homme anéanti par le désenchantement conjugal. Face à face de deux acteurs prodigieux dans un registre à l'opposé l'un de l'autre, ce film est un formidable suspense qui tient en haleine le spectateur par la qualité des dialogues d'Audiard particulièrement ciselés pour l'occasion,  la tension permanente que l'évolution du scénario fait peser sur ce présumé coupable, d'autant que sa femme, interprétée avec sensibilité par Romy Schneider, ne fait que noircir le tableau et conforter l'inspecteur dans la piste de la pédophilie. Tout concoure en effet à accuser cet homme qui, impudent, provocateur et désabusé, ne fait rien pour sauver sa peau. Son couple n'ayant plus d'issue, sa vie étant un immense gâchis, il s'accuse des deux meurtres pour en finir définitivement, suicide programmé en quelque sorte. On ne dira jamais à quel point Michel Serrault, qui recevra pour ce rôle un second César, est admirable et méritait le compliment d'Audiard d'être le meilleur acteur du monde. D'autant qu'il a fort à faire avec Ventura dont la présence puissante ne se relâche à aucun moment. Tous deux tissent une toile inéluctable où la respectabilité s'enlise à tout jamais, où le discernement ait mis à rude épreuve, où les vêtements peuvent être interchangeables selon les méandres d'une actualité que l'on ne maîtrise plus. Discrète et toute de retenue, Romy Schneider fait une apparition qui force l'admiration par sa densité douloureuse, sa désillusion amère et revancharde, par ce quelque chose d'à jamais perdu ou gaspillé, tandis que Guy Marchand méritait bien son César du meilleur second rôle dans celui du scribe un peu trop réactif qui s'immisce de façon brutale et maladroite dans cette garde à vue. Un film que l'on ne peut oublier avec sa musique lancinante, son décor d'une banalité décourageante et la pluie qui ne cesse de faire miroiter les vitres comme si la fin d'un jour, la fin d'un monde s'était tout à coup réfugié entre les murs poussiéreux de cette PJ.

 

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