Les siècles se succèdent sans que les choses changent autant que nous le supposerions. Sous Louis XVIII, il était tout aussi difficile de concilier les Français que cela ne l'est aujourd'hui. Au XIXe siècle, il y avait les royalistes et les autres, comme il y a de nos jours la droite et la gauche, et ce monde ne marche nullement du même pas. Lorsque Lucien de Rubempré quitte sa province et l'imprimerie familiale au bras de sa protégée la belle Louise de Bargeton (Cécile de France), l'expérience se révèle cruelle à ce jeune homme de 20 ans. Paris n'est pas la province et n'entend pas accueillir ce poète désargenté, et dont la particule n'est nullement celle de son père, avec l'enthousiasme qu'il supposait. De même ses vers, aussi charmants soient-ils, ne susciteront pas l'enthousiasme. Dans ce Paris où se font et se défont les réputations, celle de Lucien sera très vite mise à l'épreuve. Sa poésie fait sourire par sa trop tendre fraicheur et ses ambitions ne sont pas portées, hélas ! par un nom de famille à la consonance irréprochable, ce Rubempré n'est jamais que celui de sa mère qui a perdu son aura en épousant un roturier sans panache, dirigeant une modeste imprimerie d'Angoulème.
Adaptant la seule partie centrale du roman de Balzac, le réalisateur privilégie une mise en scène superbe de la vie parisienne sous Louis XVIII, constellée par une galerie de personnages hauts en couleur et fort représentatifs d'un temps où l'existence semblait partager les mêmes faiblesses qu'aujourd'hui. Soit les tentations sociales et les extravagances comme la corruption, la polémique, la rumeur, les fausses informations, nous ne sommes pas loin des titres de nos journaux contemporains et il est visible que Giannoli se plaît à les souligner et à les mettre en images, nous offrant une ample fresque qui disséque les principales faiblesses de cette époque. Mais il est vrai aussi que la démonstration est trop constante et les clins d'oeil trop excessifs sur les fautes et compromissions contemporaines. Cela prive le film d'une légèreté qui nous aurions probablement appréciée et charge le tempo d'un exposé à bien des égards alourdi par ces rappels. Mais nous devons admettre que Xavier Giannoli a le sens de la mise en scène. Je l'avais remarqué dans son précédent opus "Marguerite" et, à nouveau, il nous emporte par la nervosité de son rythme et un sujet d'une implacable cruauté. Quant aux acteurs, ils savent proférer avec éclat des répliques provocantes et cinglantes. Une mention spéciale pour le jeune Benjamin Voisin qui prête à son personnage une sensibilité encore embrumée de naïveté. Film plus spectaculaire qu'émouvant, il n'en est pas moins une adaptation réussie d'une page chargée d'incroyables intuitions de la part d'un des nos écrivains phares, Honoré de Balzac, qui avait la nostalgie de la bienveillance et d'un reste de pureté originelle.
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