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16 mai 2015 6 16 /05 /mai /2015 09:31
TAXI TEHERAN de JAFAR PANAHI

Installé au volant de son taxi, Jafar Panahi sillonne les rues animées de Téhéran mais endeuillées par ces femmes en noir et voilées que l’on croise à chaque instant. Au gré des passagers qui se succèdent et se confient à lui, le réalisateur nous offre un témoignage de l’état de la société iranienne d’aujourd’hui, saisie sur le vif et dans un contexte lucide et sans détours. Depuis qu’il lui a été interdit d’exercer son métier de cinéaste en 2010 et ce, après un emprisonnement lié à sa participation à une manifestation contre la réélection controversée du président Mahmoud Ahmadinejad, Jafar Panahi n’a cessé de réaliser des films. Dont deux tournés dans son appartement : « Ceci n’est pas un film » (2011) et « Closed Curtain » (Ours d’argent à Berlin en 2013). Empêché de sortir d’Iran pendant vingt ans, il n’a pu répondre à l’invitation d’être juré au Festival de Cannes. 
 


« Taxi Téhéran », (Ours d’argent en 2015), c’est d’abord un vieux véhicule et une caméra cachée qui déambulent, dès les premières heures du jour, dans un Téhéran grouillant de vie. Premier arrêt : un homme monte près du chauffeur et raconte une anecdote évoquant un vol de roues de voiture et appelant à en pendre les auteurs. La femme, qui est déjà assise à l’arrière, intervient pour exprimer son désaccord. L’homme loue alors les lois de la charia, la femme lui rétorque que la seule conséquence de son application est de placer l’Iran au second rang, après la Chine, des pays qui ont le plus recours à la peine capitale. L’homme, exaspéré par les idées progressistes de cette enseignante, sort du taxi en clamant qu’il est un voleur à la tire… Monte alors une femme éplorée, qui accompagne son mari blessé à l’hôpital, mais semble surtout préoccupée qu’il lui laisse un testament qui la mette à l’abri du besoin et de l’âpreté de ses beaux-frères, ce qu’il accepte de faire sur le portable du chauffeur. Ce sera ensuite un homme qui vend des DVD et CD car, en Iran, tout ce qui a trait à la culture, sensée émanciper la population, se joue sous le manteau, bien entendu. Mais le moment le plus intéressant est celui où le taximan va chercher sa nièce à l’école. Cette petite fille, pleine de verve, nous délivre une vraie leçon de cinéma selon les codes transmis par son institutrice, car elle est chargée, par cette dernière, de faire un court métrage transmissible, c’est-à-dire en mesure d’éduquer les Iraniens selon les exigences du Coran, ce qui oblige la fillette à proposer un travail en phase avec les consignes officielles.



Embarquent enfin un ancien voisin du réalisateur qui lui avoue avoir été victime d’une agression, et une amie avocate, Nasrin Sotoumek, qui sort de trois années d’emprisonnement pour avoir défendu une jeune femme, elle-même sous les verrous, à la suite d'un match de volley-ball masculin auquel elle avait assisté. Depuis, Nasrin Sotoumek s’est vu signifier l’interdiction d’exercer son métier et de sortir du pays pendant vingt ans. Ainsi, le cinéaste nous propose-t-il un échantillonnage éloquent des interdits qui s’appliquent dans un pays placé sous le joug tout puissant des mollahs. De ces péripéties diverses, nous retiendrons le voyage, à défaut de la destination, tant celle-ci reste du domaine du rêve et de l’utopie, dans le quotidien du peuple iranien. Un voyage réalisé avec une simple caméra orientable, une voiture pour décor unique, quelques personnages qui discutent, un film réalisé avec rien d’autre que des témoignages, des instants d’existence plus bancals et cocasses les uns que les autres. Une prouesse dont le principal mérite est d’avoir, à travers ces rencontres, ces arrêts, ces courses, dressé un portrait à la fois drôle, tendre, terrifiant et lucide de la société iranienne. Et ceci, avec beaucoup de sensibilité et de compassion, sans omettre une pincée d’humour. Passager de sa propre aventure, Jafar Panahi nous délivre un manifeste aussi bien politique que cinématographique. C’est assurément un hymne à la liberté que de filmer en bravant les interdits dans une société qui n’est faite que de cela. On sort de la projection de « Taxi Téhéran »  comme si nous venions d’être les témoins d’un moment de vie dans une capitale cadenassée.

 

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TAXI TEHERAN de JAFAR PANAHI
TAXI TEHERAN de JAFAR PANAHI
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commentaires

E
J'ai beaucoup aimé ce film, qui est un regard tendre, finalement,et surprenant. La petite fille et l'avocate sont extraordinaires, loin de l'idée des femmes oppressées, et puis il y a la débrouille, les combines...
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V
J’ai fait un petit peu le tour de ton blog, il a l’air super intéressant. Je vais m’y installer tranquillement.
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D
Bonjour Armelle, parmi les séquences, j'ai apprécié celle avec l'avocate. Edifiant.C'est un film à voir et à conseiller même si je me demande ce qu'est devenue l'eau du bocal des poissons rouges. A priori, le sol de la voiture devrait être inondé. Cela m'a turlupinée. Bonne après-midi.
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A
Oui, la scène avec l'avocate est très réussie, d'autant qu'elle est belle et si épanouie parmi ses fleurs. Mais la petite fille est bien aussi et dit de sacrées vérités. Oui, un film-document et témoignage à voir.
A
J'ai beaucoup aimé aussi les propos de la fillette, Alain. Elle dit l'essentiel avec naïveté et elle est amusante, pleine de verve et d'enthousiasme. Mais pour moi, ce film est surtout un documentaire, un témoignage de première main. Très courageux.
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A
Bonjour Armelle. En sortant de la salle je suis resté scotché par le courage de Jafar Panahi pour continuer à faire ce qu'il aime, tout en sachant les risques encourus. J'ai beaucoup apprécié la première "confrontation" avec cette femme institutrice, intelligente et éclairée, face à l'obscurantisme de l'autre passager. Et que dire de la présence lumineuse de Nasrin Sotoumek ? Discernement et courage réunis. Pour ma part, ce film est une très belle leçon de cinéma avec, peut être aussi, un brin d'espoir. Bon Dimanche à vous tous.
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  • Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE
  • Auteur de treize ouvrages, passionnée par les arts en général, aime écrire et voyager.
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