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3 octobre 2016 1 03 /10 /octobre /2016 10:24
Juste la fin du monde de Xavier Dolan

Je suis allée voir ce film avec quelques à priori. Tout d’abord à cause du battage fait par une certaine presse qui voit en cet opus le chef-d’œuvre absolu et une autre qui pointe du doigt sa totale indigence. Trop de trop ne pouvait manquer d’aiguiser ma curiosité et m’inciter à me forger ma propre opinion. Que Xavier Dolan soit un jeune cinéaste doué, nous le savions depuis ses débuts à l’âge de 20 ans. Il en a aujourd’hui 27 et s’affirme avec plus de maturité, façonnant son style non sans quelques maladresses mais un souci constant d’originalité et une quête soucieuse du dire vrai et de l’image juste.

 

Cette dernière réalisation, bien qu’inégale, recèle des moments d’une vraie et profonde beauté et une exigence dans l’expression de l’incommunicabilité entre les êtres, les désordres intérieurs, l’incapacité de chacun à vivre une relation, à établir un dialogue, à sortir de son emmurement. Le silence est sans doute la plus grande liberté de l’homme, dont il sait si peu faire bon usage. Les personnages du film apparaissent tous, à l’exception du visiteur, comme les prisonniers d’eux-mêmes, les victimes de leur ego, les invalides de l’existence, partageant un huis clos  où ils n’ont pour pires ennemis qu’eux-mêmes. Tous vivent dans une agitation permanente, un onirisme sans consistance, tous sont les victimes de la dictature du bruit et de l’éphémère, de la fébrilité et de l’inquiétude. Alors ils crient, ils fument, ils s’apostrophent avec violence, chacun est l’ennemi de chacun et pire encore : l’ennemi de lui-même.

 

Le bruit est le constant fléau de notre actualité. Il nous mutile et nous prive de l’essentiel : notre silence intérieur où s’épanouissent les fleurs de notre pensée, les fruits de notre réflexion. Alors, lorsque le silence survient dans ce désordre et plonge au cœur de ce chaos psychologique, les excès sont possibles et la tragédie se joue à coups d'estoc, de mots qui blessent, de formules éculées et misérables. Nous ne sommes plus en quête du mot juste, du mot vrai, mais du mot qui tue, œuvre d’un monde décervelé en totale déliquescence, un monde malade tout simplement. Le film de Dolan, inspiré de la pièce éponyme de Jean-Luc Lagarce, est un concentré de ce vide abyssal dans lequel nous évoluons. Mais ce qui est intéressant, ce qui pose question et fait l’intérêt du film, est Louis, ce fils qui n’a pas revu les siens depuis 12 ans, ce jeune écrivain-dramaturge de 34 ans qui apparaît comme l’ange visiteur, silencieux et souriant, et pose sur eux – sa mère, sa sœur, son frère et sa belle-sœur comme l’écho émouvant de l’expérience du désert, la douceur intérieure de la certitude, le sourire de la grâce. Gaspard Ulliel est magnifique dans ce rôle où son jeu se résume à quelques paroles sobres, à cette gravité du regard qui concrétise l’approche du silence éternel. Ce qu’il était venu dire, il ne le dira pas et qu’importe : personne n’était en mesure de l’entendre. A la fin, un oiseau s’envole de la vieille horloge qui sonne encore les heures et se cogne contre les murs avant de trouver l’issu vers la lumière, la porte ouverte vers l’ineffable.

 

Symphonie des regards, monologues tronqués, jugements hâtifs, mots vains, colères puériles, cela est soudainement absorbé par les visages qui disent leur désarroi face au questionnement muet du visiteur dont ils perçoivent vaguement l’exigence et la fatalité. Un film qui pose les questions essentielles, se focalise sur les expressions inquiètes, les met en images de belle façon avec leur plein et leur vide, leurs interrogations et leurs dénis et bénéficie d’une parfaite interprétation de la part des comédiens. A ne pas douter, Dolan n’a pas fini de nous interroger sur nos finitudes.

 

Pour consulter la liste des articles de la rubrique CINEMA AMERICAIN ET CANADIEN , cliquer    ICI

 

Si vous souhaitez  prendre connaissance de la critique d'un autre de ses films, cliquer sur son titre :  "MOMMY"

 

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Juste la fin du monde de Xavier Dolan
Juste la fin du monde de Xavier Dolan
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commentaires

E
Je ne l'ai pas vu, et hésite. Le bruit, je supporte très mal, tout comme les gens dont les bavardages se superposent... Mais je ferai peut-être une tentative un jour...
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A
Chère Edmée, je pense que vous ne serez pas déçue par ce film magnifique. N'hésitez pas à le visionner si vous en avez la possibilité.
L
Un film qui pose de bonnes questions mais s'embrouille un peu dans ses reponses.
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A
Bonjour Armelle. Très belle critique de ce film dont j'ai beaucoup de mal à "sortir". Il y a des mots qui me poursuivent, des silences qui m'étouffent encore, au milieu de tous ces personnages perdus. Je suis heureux que vous ayez pu le voir.
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S
Beau commentaire sur ce film qui fait beaucoup parler de lui. Je n'ai encore rien vu de ce jeune cinéaste visiblement prometteur mais votre critique m'incite à y aller sans a priori.
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  • Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE
  • Auteur de treize ouvrages, passionnée par les arts en général, aime écrire et voyager.
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La raison en est qu'elles sont tour à tour réelles, virtuelles, en miroir, floues, brouillées, dessinées, gravées, peintes, projetées, fidèles, mensongères, magiciennes.
Comme les mots, elles savent s'effacer, s'estomper, disparaître, ré-apparaître, répliques probables de ce qui est, visions idéales auxquelles nous aspirons.
Erotiques, fantastiques, oniriques, elles n'oublient ni de nous déconcerter, ni de nous subjuguer. Ne sont-elles pas autant de mondes à concevoir, autant de rêves à initier ?

 

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