Sabrina, la fille du chauffeur d’une grande propriété tenue par les Larrabee, une riche famille d’industriels, est depuis toujours éperdument amoureuse du fils cadet, David, playboy invétéré. Aussi son père l’envoie-t-il en France étudier dans une école de cuisine afin de lui faire oublier cet amour impossible et parfaire son éducation. Elle en reviendra métamorphosée.
Sabrina est, sans nul doute, l’un des films les plus raffinés de Billy Wilder. En guise d’introduction, Sabrina nous fait découvrir en voix off la demeure des Larrabee et leur vie de nouveaux riches partagée entre fêtes fastueuses et luxe provoquant, ainsi le garage, tenu par le père de Sabrina, abritant les huit voitures que possède la famille. Ainsi deux mondes se côtoient-ils poliment sans se mélanger jamais. Tapie en haut d’un arbre, Sabrina suit avec envie et jalousie les va-et-vient de David, véritable Don Juan qui n’a pas son pareil pour emballer les filles.
A son retour de Paris, vêtue d’une robe blanche et fleurie, symbole de son épanouissement, Sabrina sera le centre d’attraction d’une soirée organisée par les Larrabee. Elle défie alors les règles approuvées aussi bien par la famille que par son père dont le credo se résume ainsi : « Il y a le siège avant et le siège arrière. Et une vitre au milieu. »
En tombant amoureuse du fils cadet et en le séduisant, elle met en pratique les conseils qu’un mystérieux baron parisien lui a dispensés lors de son séjour à Paris : savoir plaire et se faire plaisir. Elle brave ainsi l’interdit de classe. En succombant ensuite au frère aîné, elle double la mise, s’amourachant d’un homme bien plus âgé qu’elle. Sous des airs insouciants d’apprentie femme fatale, Sabrina campe une héroïne tour à tour naïve et frondeuse qui écoute son cœur sans oublier de recourir à ses pouvoirs de séductrice.
Si le scénario de Wilder et de ses deux collaborateurs, Ernest Lehman et Samuel Taylor, se déroule dans une atmosphère idyllique parmi des gens distingués, une implacable ironie parsème les dialogues et quelques gags caustiques ponctuent les scènes et ne manquent pas d’égratigner au passage les Larrabee. D’ailleurs la plupart des situations dramatiques se jouent sur l'octave comique comme la tentative de suicide de Sabrina qui allume les moteurs des huit voitures pour être sûre de son coup.
S’ajoute à ce comique de situation une série d’événements dans lesquels les personnages ne cessent de se manipuler à tour de rôle, source de quiproquos et de conséquence inattendues et burlesques. Ils se séduisent, se suivent, se fuient, tour à tour maîtres ou victimes de leur jeu.
Les trois personnages vont donc subir une transformation radicale. La plus flagrante est celle de Sabrina incarnée par Audrey Hepburn. Elle était à l’époque, après le succès de « Vacances romaines », la nouvelle coqueluche de Hollywood, canon de beauté très différent des habituelles femmes fatales blondes et bien en chair. Frêle et fragile, elle va, au cours de cet opus, se transformer en une superbe femme, parangon de l’élégance et du style. Mais malgré ses tenues raffinées sorties des mains talentueuses du couturier Givenchy, il lui faut encore du temps pour pleinement acquérir la maturité nécessaire à la découverte de l’amour dont elle a une vision trop romantique. Quant à Linus, ses sévères costumes couronnés de son Homburg noir ne parviennent pas à cacher totalement la sensibilité amoureuse que va éveiller en lui Sabrina. Fine mouche et devenue habile dans l’art de la coquetterie, elle réussit à toucher l’âme de cet homme d’affaires austère, sans être pour autant dénué d’humour et de charme. Quant à David, le personnage le plus superficiel de nos trois protagonistes – il aura l’intelligence de se retirer de la compétition en faveur de son frère et reprendra en mains les fructueuses affaires familiales.
Le film se solde par un happy end prévisible pour ce faux conte de fée dont les codes sont détournés par Wilder : le prince charmant n’est pas celui que l’on croit. On n’en attendait pas moins d’un réalisateur dont les personnages sont souvent le contraire de ce qu’ils paraissent être. Sabrina reste cependant son œuvre la plus épurée, servie par un noir et blanc satiné, une mise en scène élégante et une brochette d’acteurs dont le panégyrique n’est plus à faire.
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