Le 19 décembre 1997, un vendredi, "Titanic", le film le plus attendu de la décennie, sort enfin sur les écrans américains, après moult péripéties raillées par la presse depuis des mois. Ce week-end là, le film rapporte 28,6 millions de dollars au box-office: c'est encourageant, mais pas spectaculaire. "Jurassic park - le monde perdu" a empoché 72 millions en trois jours cette même année. Mais quelque chose de miraculeux se passe : la majorité des critiques est subjuguée par la vision de Cameron et les premiers spectateurs sortent bouleversés des projections. Le bouche à oreille fonctionne et Leonardo DiCaprio devient une idole du jour au lendemain. Balayant les lugubres prophéties, "Titanic" prend la tête du box-office pendant quinze semaines consécutives, devient un phénomène de société, conquiert le monde entier et s'impose en 1998 comme le plus gros succès commercial de tous les temps, encaissant 1,8 milliard de dollars de recettes. À la fois romance épique dans la tradition établie par "Autant en emporte le vent", film-catastrophe qui métamorphose un naufrage réel en spectacle jamais vu et accomplissement technologique sans précédent, "Titanic" a acquis, dès son lancement, le statut de classique.
La tragédie du navire anglais a inspiré plusieurs films, dont une curieuse production nazie en 1943, un mélo en 1953 avec Barbara Stanwyck et un très applaudi drame anglais en 1959. Mais James Cameron, obsédé par la catastrophe, tenait absolument à en donner sa propre version. "C'est très personnel, expliquait-il. J'ai fait ce film parce que je voulais aller visiter l'épave. En 1995, j'ai fait douze expéditions sous-marines sur les lieux avant de commencer à tourner. Au total, j'y suis allé trente-trois fois. Extérieurement, le bateau est très abîmé, mais quand on y pénètre, on en découvre l'incroyable élégance et la grandeur, qui ont été protégées. J'ai ainsi trouvé un miroir intact dans une chambre. De telles choses créent une connexion. Explorer cette épave reste mon plus beau souvenir du film."
Pour Cameron, "si le récit du naufrage n'en finit pas de fasciner, c'est qu'il contient de multiples paraboles qui résonnent dans nos existences contemporaines. Les métaphores liées au Titanic se répètent à travers l'histoire. Ce que le film a rajouté, c'est une histoire d'amour sur fond de mort qui a parlé à tout le monde, qui a transcendé les barrières linguistiques, culturelles, et sociales". Il n'a pas tort, l'amour fou qui, dans son scénario, unit l'héritière Rose (Kate Winslet) et l'émigrant, sans le sou, Jack (Leonardo DiCaprio), est le coeur battant du film, auquel se sont identifiés tant de spectateurs. L'aventure commença néanmoins dans le doute, ainsi que le rappelle Jim Gianopulos, coprésident de la Fox, qui finança le film avec Paramount: "Tout le monde, au studio, était perplexe. Tout particulièrement quand ils nous ont dit qu'ils allaient reconstruire le Titanic, grandeur nature, sur un plateau et qu'ils allaient aussi avoir besoin d'un réservoir gigantesque pour les scènes d'eau. Et, comme aucun studio n'était assez grand pour le contenir, qu'il faudrait construire un studio, et comme nous n'avions pas le terrain pour ça, qu'il faudrait en acquérir un... Nous voilà donc à acheter un plateau, à bâtir un bateau de 274 mètres de long et un réservoir pour le remplir avec des millions de litres d'eau. De quoi avoir peur ! "Titanic" n'a pu voir le jour que grâce à l'incroyable énergie et à la passion de James Cameron."
Passion, ego ou folie ? Le tournage éreintant, qui passe de cent trente-huit jours à cent soixante, est à la hauteur de la personnalité un peu mégalo de Cameron. Des techniciens sont littéralement épuisés, certains sont victimes d'accidents, au point que leur syndicat mène une enquête. Le réalisateur est perçu comme un impitoyable tyran: "Par moments, j'avais vraiment peur de lui" - avoua ensuite Kate Winslet. Un membre de l'équipe se venge en empoisonnant la nourriture et cinquante personnes se retrouvent à l'hôpital. Le budget atteint la somme inimaginable de 200 millions de dollars. La sortie en août est annulée. La Fox panique et tente d'imposer des coupes. Tout cela, bien sûr, sous le regard narquois des médias. "Mon pire souvenir, c'est quand nous étions en postproduction - raconte le metteur en scène. Tout le monde était contre nous, nous passions pour les plus grands nigauds de l'histoire, nous ne savions pas encore ce que nous avions entre les mains. J'ai accroché un rasoir au-dessus de ma table de montage pour me rappeler quoi faire si le film était raté. Mais la pression m'a poussé à ne pas faire de compromis et à rendre le meilleur film possible."
Parmi les éléments les plus iconiques du film, il y a, bien sûr, le couple Leonardo DiCaprio/Kate Winslet. James Cameron se souvient du casting : - "Je voulais une Audrey Hepburn et on a regardé toutes les jeunes actrices du moment - dit-il. Kate était sur la liste. J'ai visionné certains de ses films. Elle était surnommée "corset Kate" car elle semblait spécialisée dans les films en costumes. Je me suis dit: c'est un peu paresseux de la prendre juste pour ça. Nous avons filmé une audition, à l'ancienne, en 35 mm, dans un décor conçu pour. Et elle nous a complètement soufflés. On l'a engagée quasi immédiatement : nous avions notre ancre. Maintenant, il fallait trouver Jack. DiCaprio était sur la liste des finalistes. Baz Luhrmann m'a envoyé des scènes de Roméo+Juliette, qui n'était pas encore sorti et je l'ai trouvé très impressionnant. J'ai rencontré Leo pour un entretien dans mes bureaux, j'étais entouré de personnel féminin. Ces femmes ne voulaient pas quitter la pièce, je me demandais ce qui se passait : c'était le début de la Leomania ! Kate est venue pour faire une lecture avec lui, mais lorsque j'ai donné des pages de script à Leo, il a dit qu'il ne travaillait pas comme ça. Quand je lui ai dit que c'était ça ou rien, il a rechigné mais il l'a fait et il a été sensationnel. J'ai pensé : il me le faut absolument. Lui a alors décidé qu'il n'avait plus envie de faire le film ! Il voulait incarner un personnage torturé, ce que Jack n'était pas. J'ai passé deux mois à le persuader. À la fin, je lui ai dit que s'il pouvait jouer comme l'aurait fait un James Stewart trompeusement simple, il serait un grand acteur: il a alors compris le défi que représentait le personnage."
Le 23 mars 1998, Titanic remporte onze Oscars. James Cameron a gagné son pari. Quand il brandit son trophée et s'écrie, à l'instar de son héros : "Je suis le roi du monde ! » - il est taxé d'arrogance. Oui, Cameron est arrogant. Mais il est aussi, cette année-là, le vrai roi du monde. En tout cas d'Hollywood. Et son "Titanic", oeuvre démesurée, adorée des uns et détestée des autres, n’en demeure pas moins un monumental témoignage.
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