Ce blog n'a d'autre souhait que de partager avec vous les meilleurs moments du 7e Art et quelques-uns des bons moments de la vie.
Un pianiste séduisant et débauché, qui a sacrifié sa carrière à ses conquêtes, reçoit un jour une lettre d’une femme inconnue, Lisa Berndle. Celle-ci lui retrace l’amour qu’elle a éprouvé secrètement pour lui depuis son adolescence. Elle évoque les rares étreintes que ce volage amant a partagées avec elle et dont un enfant est né, un petit garçon mort du typhus au cours d’un voyage. Cette femme belle et délicate a épousé un diplomate qui lui a offert l’aisance et la sécurité. Mais un soir, au théâtre, elle revoie l’homme qui n’a jamais cessé de la hanter et rompt avec son époux afin d’aller le retrouver. Malheureusement celui-ci ne la reconnait pas et la jeune femme comprend qu’elle a été abusée. Malade et désespérée, elle est recueillie par des religieuses et rédige sur son lit d’hôpital une lettre que les religieuses se feront un devoir d’expédier à son destinataire. Le pianiste comprend alors pourquoi un diplomate viennois l’a provoqué en duel la veille...
"Lettre d’une inconnue" inspirée d’une nouvelle de Stefan Zweig marque l’apogée de la carrière américaine de Max Ophuls, avant son retour en France. D’un esthétisme raffiné, le cinéaste impose, dès les premières images, son style et son univers qui imprégneront tout le récit. C’est d’abord un tournage en studio qui reconstitue admirablement un pan de l’atmosphère de la capitale impériale, la Vienne des années 1900, sans que le cinéaste nous laisse dupe sur les artifices de la transposition (la scène du voyage imaginaire au Prater). C’est aussi une œuvre sur le mouvement, celui des véhicules mais aussi des hommes, filmé le plus souvent en de savants travellings chargés de symboliser les déambulations de Lisa dans la ville, en quête de son amant, auxquelles répondent, en écho, les déplacements du concertiste entre Vienne et Milan et ceux du jeune fils qui fera un voyage sans retour ; ces mouvements traduisant l’instabilité des personnages et la force irréversible du destin. On connait, par ailleurs, le goût de Ophuls pour les films à costumes avec décors raffinés qui, loin de figer ses œuvres, leur offrent une dimension intemporelle. Les rues embrumées ou enneigées, le caractère nostalgique d'un monde évanoui donnent au récit une tendresse infinie, d'autant plus que la caméra ne cesse de filmer avec grâce une femme délicieuse en proie à un amour impossible.
L’héroïne de « Lettre d’une inconnue »pourrait être ainsi une jeune femme moderne imprégnée de tragédie antique, assumant sa passion jusqu’à perdre sa respectabilité, bravant les bonnes moeurs (comme Lola Montès) et trouvant dans la mort sa rédemption, à l’instar de Phèdre ou de Madame de. Joan Fontaine incarne à merveille cette amoureuse frémissante et masochiste, agissant comme une adolescente et sacrifiant sa vie pour un homme qui ne la reconnait même pas à chacune de leurs retrouvailles : là encore, un parallèle peut s’établir avec ce mélange de futilité et de gravité qui rendent le personnage si émouvant, comme le seront par la suite les héroïnes de "Madame de" et de "Lola Montès". Face à elle, Louis Jourdan, French lover ayant connu une honorable carrière internationale, interprète là son rôle le plus emblématique avec une hauteur détachée. Ophuls, amoureux des auteurs, donne ainsi une dimension nouvelle à un matériau littéraire de première grandeur, comme il le fera en France avec ceux de Arthur Schnitzler (La ronde) et de Guy de Maupassant (Le plaisir). La question n’est pas tant de savoir si Ophuls a été fidèle ou non à Zweig mais de se demander si le passage des mots aux images en a altéré la portée. Ma réponse est non, bien entendu. Au contraire, cette transcription est une pure merveille car traitée dans un style qui correspond absolument à celui de l’écrivain et le magnifie de façon magistrale et poétique.
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MAX OPHULS & LE CINEMA BAROQUE