Jacques Lantier est victime de pulsions meurtrières et en souffre secrètement. Il ne se trouve bien qu’en compagnie de son chauffeur Pecqueux (Carette) sur La Lison, la locomotive à vapeur avec laquelle ils font la ligne Paris-Le Havre. Pour son malheur, Lantier (Jean Gabin) rencontre Séverine (Simone Simon) alors que son mari Roubaud (Fernand Ledoux), sous-chef de la gare du Havre, pauvre type jaloux et veule, vient d’assassiner Grandmorin, le parrain de son épouse dont il apprend qu’il l’avait forcée à céder à ses avances au temps où elle était domestique dans son château. Lantier tombe amoureux de cette jeune femme ravissante et paumée qui a assisté au meurtre avec complaisance dans le train qui la ramenait avec son mari de Paris au Havre et en reste marquée au point de se refuser à toute forme d’amour désormais. Lantier finit par la convaincre de partir avec lui et de quitter un mari qui s’est mis à jouer, à voler, mais, au moment de tuer Roubaud, la jeune femme se dérobe … La fin est aussi tragique que le climat qui règne dans ce clair-obscur admirablement rendu par une caméra feutrée qui évolue en des images d’une puissante beauté et une atmosphère pluvieuse et fondamentalement désespérée.
« La bête humaine » est la seconde adaptation de Zola par Jean Renoir. On a dit que le cinéaste appréciait modérément le roman de celui qui avait été l’ami de son père. Même s’il rend explicitement hommage à l’auteur de la saga des Rougon-Macquart, Renoir prend très vite ses distances avec l’œuvre initiale. C’est ainsi que l’époque a été modifiée, le Second-Empire étant remplacé par le Front Populaire et l’esprit des années d’avant-guerre. Sorti quelques mois après La Marseillaise, La bête humaine est bercé par un certain idéal. Le travail y apparaît salvateur, un travail mené collectivement, l’esprit de camaraderie se prolongeant dans le quotidien. Le mécanicien Pecqueux est davantage qu’un pote et un confident pour Lantier. C’est le régulateur de ses émotions et le symbole de la fraternité ouvrière. À la coopérative ouvrière succède ici la vénérable « Société nationale des chemins de fer français », qui se veut un symbole de progrès et d’unité. Ainsi le film rend-t-il compte du climat qui règne dans cet univers du rail parfaitement évoqué et où évoluent des hommes qui l’ont placé comme un idéal à atteindre en permanence.
Le film souffre cependant d’une certaine théâtralité, même Gabin n’habite pas vraiment son rôle, pas davantage la ravissante Simone Simon qui surjoue le sien et ne parvient pas à nous émouvoir. Seuls Carette, formidable de naturel et de gouaillerie, et Fernand Ledoux sont crédibles et donnent une épaisseur à leurs personnages. Et puis il y a les images sublimes, l’atmosphère morbide, la pluie et les lumières vacillantes de la nuit, les locomotives qui traversent le temps et l’amitié virile de ces hommes en manque de repères affectifs.
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