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20 juin 2007 3 20 /06 /juin /2007 09:43
LA BELLE NOISEUSE de JACQUES RIVETTE

                         
Jacques Rivette est l'homme des défis : entre autres défis, ceux de la dramaturgie et des codes traditionnels de l'écran. Chacun de ses films se présente comme une énigme à déchiffrer, dont il n'est pas sûr que lui-même en détienne la clef. On dirait que le cinéaste se plaise à épier les signes, à mettre en route des choses et des événements qu'il ne maîtrise pas forcément, mais dont le déroulement, quand bien même qu'il le déborde, excite son imagination. Aussi ne peut-on rêver création plus ouverte, plus ludique, plus expérimentale. La Belle Noiseuse (1990) ne déroge pas à la règle des films qui la précédèrent ; la version intégrale était de 4 heures, comme L'amour fou de 4h12 ou Céline et Julie de 3h10. Mais Rivette envisagea un traitement allégé qui la réduisit à 2 heures et, par la même occasion, la priva d'une grande part de son intérêt. L'intrigue se place sous le patronage du Chef-d'oeuvre inconnu de Balzac, l'écrivain préféré de Rivette vers lequel il se plait à revenir, tout récemment encore avec Ne touchez pas la hache. Elle illustre parfaitement le propos du vieux peintre à son épigone : " La beauté est une chose sévère et difficile qui ne se laisse point aisément atteindre ; il faut attendre des heures, la presser et l'enlacer étroitement pour la forcer à se rendre... Ce n'est qu'après de longs combats qu'on peut la contraindre à se montrer sous son véritable aspect". Ainsi procède le peintre Frenhofer (admirablement interprété par Michel Piccoli), cloîtré dans son atelier, pareil à une forteresse, pressant son jeune et beau modèle, nu et soumis, à livrer le mystère de sa torturante séduction. Le public assiste fasciné à cette ascèse esthétique qui ne se prive pas d'exigence et n'est pas moins dénuée de tyrannie.

                                                  

Dans le midi de la France, le peintre Frenhofer s'est retiré avec sa femme Liz (Jane Birkin), qui fut longtemps son inspiratrice. Arrive Porbus (Gilles Arbona), un amateur d'art, en compagnie d'un jeune peintre Nicolas et de sa compagne Marianne (Emmanuelle Béart). Depuis 10 ans, Frenhofer avoue à Porbus qu'il n'a plus touché un pinceau, laissant inachevée La belle Noiseuse, un portrait de sa femme, tableau qui devait être tout ensemble son dernier ouvrage et son chef-d'oeuvre. Porbus l'encourage à reprendre ce travail avec pour modèle la jeune et belle Marianne. Cinq journées de pause harassantes seront nécessaires pour concrétiser le projet que vont vivre avec difficulté les deux couples, dans un climat de tensions et de jalousies. Alors que le vieux ménage se ressoudera dans l'épreuve, le jeune s'y consumera et le tableau, remisé à l'écart, conservera son secret.
 


La main d'un peintre de métier se substitue à celle de l'acteur dans les plans rapprochés. Il s'agit de celle de Bernard Dufour qui a exposé au Centre Pompidou et à la Biennale de Venise. Pour autant sa technique de composition picturale ne saurait constituer le motif principal du film. Rien à voir avec Clouzot traquant le geste de Picasso dans Le mystère Picasso (1956), pas davantage avec Pialat montrant Van Gogh à son chevalet. Rivette envisage le travail d'un peintre anonyme comme pur et simple prolongement de son itinéraire de cinéaste et le processus utilisé nous renvoie inlassablement à ses propres méthodes de tournage. La recherche présumée d'une forme sur la toile est symétrique de la sienne sur l'écran et c'est véritablement là que réside l'attrait essentiel du film. Ce qu'il raconte, par ailleurs, est l'histoire d'un couple d'âge mûr qui sent la jeunesse lui échapper pendant qu'un autre couple, pas assez mûr, se défait sous ses yeux. A l'expérience de l'un s'oppose l'immaturité de l'autre et toujours l'impossibilité d'aboutir à l'harmonie et la plénitude. C'est donc à une leçon sur les possessions impossibles que le cinéaste nous convie, prenant soin de ne point offrir une quelconque conclusion à son film, à ne rien clore et à laisser place à la réflexion sur la création toujours en train de se créer. Rien n'aboutit, tout reste en suspens, en état d'accomplissement permanent. De même que l'amoureux se trompe en croyant posséder celle qui est l'objet de son amour, que le peintre s'illusionne lorsqu'il croît s'emparer des secrets intimes de son modèle, l'artiste se fourvoie en pensant qu'il a terminé l'oeuvre de sa vie. Passionnant document sur le travail de réalisateur et tentative intelligente et originale qui illustre l'axiome que Rivette, lorsqu'il était critique aux Cahiers du cinéma, avait posé au sujet de la vocation de celui-ci à se faire l'élément constitutif de son propre tournage. Il y réussit avec ce film exemplaire qui permet à la caméra de capter les liens invisibles que les êtres parviennent à tisser entre eux, sans jamais atteindre une solution satisfaisante, puisque l'on sait que le travail de Rivette n'a d'autre but que de nous décrire, par le menu, l'élaboration des actes et la gestation des oeuvres.

 

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commentaires

A
<br /> Bonsoir Armelle, Remise à jour, ou tout simplement humeur du moment ? Toujours est-il qu’en découvrant vos derniers articles réservés au cinéma « d’hier « je ressens une pointe de nostalgie et<br /> reconnais avoir le même sentiment en « récupérant » laborieusement les articles réservés aux films que j’ai aimés. Mais pour l’heure il fait trop beau pour que je reste devant mon écran. Je me noie<br /> en pleine nature et je m’y sens bien ! Toutes mes amitiés, à très bientôt Alain<br /> <br /> <br />
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C
<br /> Un très beau film sur la création<br /> <br /> <br />
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M
Dans le film, Emmanuelle Béart est nue les 3/4 du temps sans que cela soit érotique, ni vulgaire. Le corps y est vraiment célébré sur le plan esthétique. C'est beau.
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  • Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE
  • Auteur de treize ouvrages, passionnée par les arts en général, aime écrire et voyager.
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Un blog qui privilégie l'image sans renoncer à la plume car :

 

LES IMAGES, nous les aimons pour elles-mêmes. Alors que les mots racontent, les images montrent, désignent, parfois exhibent, plus sérieusement révèlent. Il arrive qu'elles ne se fixent que sur la rétine ou ne se déploient que dans l'imaginaire. Mais qu'elles viennent d'ici ou d'ailleurs, elles ont l'art de  nous surprendre et de nous dérouter.
La raison en est qu'elles sont tour à tour réelles, virtuelles, en miroir, floues, brouillées, dessinées, gravées, peintes, projetées, fidèles, mensongères, magiciennes.
Comme les mots, elles savent s'effacer, s'estomper, disparaître, ré-apparaître, répliques probables de ce qui est, visions idéales auxquelles nous aspirons.
Erotiques, fantastiques, oniriques, elles n'oublient ni de nous déconcerter, ni de nous subjuguer. Ne sont-elles pas autant de mondes à concevoir, autant de rêves à initier ?

 

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