En 1950, au moment où Alfred Hitchcock s'apprête à tourner L'inconnu du Nord-Express, ses actions ne sont pas au plus haut. Il vient de subir deux échecs consécutifs avec Les amants du Capricorne et Le grand Alibi et il lui faut à tout prix produire un long métrage qui lui permette un rétablissement spectaculaire. Malgré un scénario peu enthousiasmant inspiré d'un roman de Patricia Highsmith, le cinéaste, grâce à son génie, va réaliser un thriller passionnant qui obéit parfaitement aux règles du suspense qu'il sait mieux que personne utiliser avec maestria. Pour rester maître de ses films de bout en bout, Hitchcock avait une méthode bien personnelle : il ne tournait jamais que de tout petits morceaux de films à la fois, si bien qu'il était impossible à quiconque de les assembler en dehors de sa présence et qu'on ne pouvait faire d'autre montage que celui qu'il entendait imposer. Le montage, dans des films comme les siens, est d'une importance capitale. Le maître le veut rapide, efficace, concis, aussi veille-t-il à cette ultime démarche avec un soin jaloux. Dans ce film, comme dans la plupart des autres, il sait également exploiter la notion du temps : temps relatif, temps manipulé comme lors du match de tennis que Farley Granger, dans le rôle de Guy, doit absolument remporter et au plus vite. Durant cette scène, le temps est volontairement comprimé, puis celui de la vie reprend ses droits, mais il est certain que le film donne à plusieurs reprises le sentiment d'un temps différé.
Dans un train, un certain Bruno (Robert Walker) aborde un jeune champion de tennis, qu'il admire et dont il connait chaque événement de la vie, et lui propose, alors qu'ils déjeunent dans le wagon-restaurant, un échange de meurtres. Lui, Bruno, supprimera la femme de Guy - qui lui refuse le divorce - afin qu'il puisse épouser Ann, et, en contrepartie, Guy tuera le père de Bruno qui empoisonne la vie de son fils. Guy, ulcéré, refuse ce plan diabolique, ce qui n'empêche nullement Bruno de réaliser la première phase de son projet : il étrangle l'odieuse femme de Guy dans un parc d'attractions. Guy est immédiatement interrogé par la police, et ne pouvant fournir l'alibi valable, est bientôt surveillé, malgré la notoriété dont il jouit. Bruno, pour sa part, ne tarde pas à lui faire savoir qu'il attend la réciprocité, c'est-à-dire que le joueur de tennis mette fin à l'existence de son père. Bien entendu, celui-ci ne bronche pas, au point que dans sa fureur Bruno décide de la compromettre définitivement en déposant sur les lieux, où il a assassiné sa femme, un briquet lui appartenant et marqué à ses initiales. La fin est inattendue : après un match gagné en cinq sets, Guy va retrouver Bruno et ils se battent sur un manège. La scène est d'une extrême violence et admirablement filmée : le manège s'emballe jusqu'à ce qu'il se brise et écrase Bruno en se disloquant sous l'effet de son poids. La morale est sauve : Guy sera innocenté.
Il y a dans ce film, comme dans tous ceux d'Hitchcock, de nombreuses scènes originales qui ont fait date et prouvent le talent inventif du cinéaste. Par exemple, celle fameuse où le meurtre de Myriam, la femme de Guy, se reflète dans ses lunettes et, plus tard, cette autre scène où voyant les lunettes que porte la soeur d'Ann, Barbara, interprétée par la propre fille d'Hitchcock, Bruno est pris d'une nouvelle frénésie de crime et manque d'étrangler une femme qui se trouvait là, ce qui nous confirme qu'il est un psychopathe dangereux. Si Hitchcock, extrêmement lucide et exigeant vis-à-vis de lui-même, était satisfait de la forme générale du film et également des seconds rôles, qu'il trouvait interprétés par des acteurs qui correspondaient parfaitement à leurs emplois, il considérait que la seule faiblesse résidait dans le manque de force des deux acteurs principaux et dans l'imperfection du scénario final. "Si le dialogue avait été meilleur "- disait-il - nous aurions eu une plus forte caractérisation des personnages". "Voyez-vous - ajoutait-il - le grand problème de ce genre de film, c'est que vos personnages principaux ont tendance à devenir simplement des figures". Il ne cachait pas qu'il aurait aimé que le rôle de Guy soit tenu par William Holden parce qu'il était plus fort. "Dans une histoire comme celle-ci - concluait-il - plus l'homme est fort, plus la situation est forte". A ce détail qui, personnellement ne m'a nullement gênée, L'inconnu du Nord-Express reste un excellent film que l'on prend grand plaisir à revoir.
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ALFRED HITCHCOCK - UNE FILMOGRAPHIE DE L'ANXIETE
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