Louise, stagiaire dans une agence de décoration, occupe avec Rémi, urbaniste, un appartement à Marnes-la-Vallée. Mais Louise est coquette, aime sortir, s'amuser, alors que Rémi, casanier, préfère la tranquillité d'une vie un peu à l'écart des autres. Un soir Louise fait la connaissance de Bastien qu'elle invite dans le studio parisien qu'elle est en train d'aménager. C'est une nuit de pleine lune... Cependant cette existence dissipée commence à la lasser et elle décide de retourner vivre sagement auprès de Rémi. Mais il est trop tard, une autre femme a pris sa place.
Avec ce quatrième film de la série "Comédies et Proverbes", Eric Rohmer illustre la formule suivante : "Qui a deux femmes perd son âme, qui a deux maisons perd sa raison". Une fois encore, l'auteur fait preuve d'une grande liberté de ton et vise à saisir, en peintre autant qu'en moraliste, avec une attention minutieuse, les petits riens de la vie quotidienne qu'il considère comme significatifs de l'air du temps. Son art, comme on l'a dit, mêle une certaine forme de modernité picturale et de tradition classique qui s'applique à inscrire un itinéraire dans un périmètre délimité et ouvre, par la même occasion, une réflexion en profondeur sur l'architecture d'aujourd'hui, la tristesse des banlieues, la jungle des villes, les nuisances de tous ordres et le cocon familial sécuritaire. Cela témoigne d'une extrême sensibilité à l'environnement et nous convie dans des lieux précis qui s'inscrivent dans une chronologie rigoureuse : la gare de Marnes-la-Vallée, le parc du Mandinet, le carrefour Saint-Michel, la place des Victoires, la rue Poncelet... Cette attention portée au cadre de vie est inséparable d'un souci complémentaire de la décoration intérieure. Rohmer l'a confié à son interprète Pascale Ogier qui s'identifie idéalement au personnage de Louise, oiseau volage en quête d'un nid à ajuster à ses mesures. Comme toutes les créatures du cinéaste, elle entend marquer son territoire avec pour seul critère un certain goût de la beauté. Auprès d'elle, l'excellent Fabrice Luchini, qui apporte la seule note drôle et légère de ce film, sans doute le plus décalé, le plus abrupte de Rohmer, se fait le porte-parole du climat habituel rohmérien, lorsqu'il s'écrie : " J'ai besoin de me sentir au centre". Au centre d'un pays, d'une ville qui serait presque le centre du monde.
Faut-il pour autant considérer le metteur en scène comme un ironique ethnographe, un dilettante à l'affût des minauderies de ses contemporains, ayant une prédilection pour les personnages exagérément nombrilistes. Il s'en défend et ne se veut que le peintre des moeurs de son époque comme son ami et confrère Claude Chabrol. C'est la raison pour laquelle il fascine et irrite à la fois, ne laissant jamais indifférent, tant son public finit par se reconnaître dans ce tableau qu'il brosse d'eux avec une grâce et une habileté indiscutables. Il pratique un humour au second degré, pas toujours perceptible il est vrai. Si on le questionne sur ses préférences littéraires, le cinéaste cite aussi bien Balzac que la Comtesse de Ségur et se plait à brouiller les pistes. Dans l'entreprise que je fais - a-t-il coutume de dire - il est bon d'être secret. Son oeuvre est néanmoins d'une rare transparence. Elle s'ordonne, on le sait, en cycles : les contes moraux, les comédies et proverbes, dont le fleuron est sans nul doute "Les nuits de la pleine lune" ( 1984 ), où l'on voit l'importance de cet astre sur le comportement des personnages, sur leur humeur, leurs amours. Le sujet se focalise, comme beaucoup d'autres réalisations de Rohmer, autour des sentiments, des états d'âme de garçons et de filles qui échouent à accorder leurs actes et leurs désirs. D'un prétexte aussi ténu, Rohmer va broder tant et si bien qu'il réactualise le thème bien connu des deux pigeons dont l'un s'ennuyait tant au logis qu'il prît son envol jusqu'au jour où il le réintégrera, mais trop tard pour sauver la mise. Servi par des dialogues étincelants, le film nous renseigne avec brio sur les complications incertaines du coeur, le jeu des apparences, les rendez-vous manqués. Les acteurs servent cette intrigue avec finesse, par leur naturel et leur spontanéité . Et le revoir est d'autant plus émouvant que son interprète féminine Pascale Ogier ( la fille de Bulle Ogier ) devait mourir peu de temps après, des suites d'une attaque cérébrale. Elle reçut à titre posthume le prix d'interprétation au Festival de Venise 1984. Un film subtil et attachant qui nous restitue parfaitement le climat des années 80.
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ERIC ROHMER OU UN CINEMA DE LA PAROLE
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