Prenez une bande dessinée pleine d’humour et d’insolence, un metteur en scène de talent, des acteurs bien dirigés, un rythme ébouriffant et vous obtenez un film désopilant, conduit à cent à l’heure dans les lieux qui ont vu s’écrire des pages d’histoire d’où le ridicule, le trivial, le surabondant, l’énorme n’ont jamais été absents. Oui, il fallait oser entrer dans les ors de la République, saupoudrer ce moment de la vie politique française de très bons acteurs, en faire un festival de la parole drue et ajouter une cadence folle au rythme des négociations qui se tramaient alors entre l’Oubanga et la France. Tavernier l’a osé et a eu grandement raison car il nous livre une excellente comédie politique comme nous n’en voyons que trop rarement avec le brio, la justesse de ton et les envolées lyriques qui font mouche.
Nous sommes en 2003 et le ministre des affaires étrangères Alexandre Taillard de Worms, lecteur d'Héraclite et mégalo, est un homme plein de panache. Il opère sur la scène mondiale et y apostrophe les puissants de ce monde en invoquant les plus grands esprits afin de ramener la paix, calmer les agités et les nerveux ( lui qui l’est cependant ) et justifier son aura de futur prix Nobel de la paix. Alexandre Taillard de Worms est un esprit brillant qui attribue à la puissance du langage la primauté diplomatique : légitimité, lucidité et efficacité ne cesse-t-il de proclamer à son équipe. Il pourfend par ailleurs les néoconservateurs américains, les russes corrompus et les chinois cupides. Le monde a beau ne pas mériter la grandeur d’âme de la France, son art se sent à l’étroit enfermé dans l’hexagone. Le jeune Arthur Vlaminck, récemment diplômé de l’ENA, est embauché en tant que chargé du “langage” sous son haut ministère. En clair, il doit écrire ses discours ! Encore faut-il apprendre à composer avec l’entourage du prince, se faire une place entre le directeur de cabinet et les conseillers qui gravitent dans un Quai d’Orsay où le stress, l’ambition et les coups fourrés ne sont pas rares, trouver les mots qu’il faut placer dans la bouche de ce mentor exigeant et manœuvrer malgré l’inertie des technocrates. La tâche est écrasante mais le jeune homme s’y attelle avec bonne volonté…
En 2003, les fonctionnaires fumaient comme des pompiers dans les bureaux du Quai d'Orsay. Surtout, la France avait une voix dans le concert des nations: « Et c'est un vieux pays, la France, d'un vieux continent comme le mien, l'Europe (…), qui a connu les guerres, l'occupation, la barbarie, un pays qui n'oublie pas et qui sait tout ce qu'il doit aux combattants de la liberté venus d'Amérique et d'ailleurs et qui pourtant n'a cessé de se tenir debout face à l'Histoire et devant les hommes ». Tel sera le discours de l’ONU prononcé par Villepin, auquel le personnage d’Alexandre Taillard de Worms ressemble comme un gant et qui nous restitue une page de notre passé non dénué de nostalgie. Car malgré le désordre apparent, les coups bas, les excès de tous ordres régnaient encore une élégance, un faste, qui ne sont nullement balayés par le rythme haletant, les effets de manche et les ridicules des divers protagonistes. Les dessous du pouvoir sont restitués avec un humour salutaire mais jamais déshonorant car, à l’évidence, ce petit monde fonctionne et travaille et si le chaos menace, le ministre tente de garder son équilibre même au cœur des situations les plus burlesques.
Thierry Lhermitte est un Alexandre Taillard éblouissant – il se livre ici à un festival de grande classe et colle parfaitement à son personnage pétri de suffisance, d’audace et de séduction ; Niels Arestrup, en directeur de cabinet impavide, est absolument parfait et nous fait toucher du doigt la vacuité des mots quand ils sont utilisés à des fins de manipulation et apparaît comme le seul personnage calme au cœur d’une véritable tornade logorrhéique ; enfin Raphaël Personnaz, en Candide qui a la charge redoutable de composer avec le prince, est très convaincant dans celui du jeune énarque à qui le ministre vient de confier la responsabilité du … langage. Tous les rouages fonctionnent et le film est une véritable réussite, même si quelques longueurs auraient pu être évitées.
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