Ce blog n'a d'autre souhait que de partager avec vous les meilleurs moments du 7e Art et quelques-uns des bons moments de la vie.
QUAND LA TRAGEDIE RENCONTRE LE BURLESQUE ET LA POESIE.
Parmi les films qui continuent à attirer les Italiens dans les salles obscures, il faut signaler la survie d'un cinéma comique peu connu hors des frontières de la péninsule parce qu'il n'y obtient pas, transplanté à l'étranger, le même succès que dans son pays d'origine. Roberto Benigni est la personnalité la plus connue de cette tendance marquée, à la manière d'un Woody Allen, par la synthèse cinéaste-comédien. Révélé en 1977 avec Berlinguer ti voglio bene de Bertolucci, Benigni passe à son tour à la réalisation et obtient un énorme succès avec Il piccolo diavolo (1988), Johnny Stecchino (1991) et Il mostro (1994) qui parviennent à dominer au box-office les produits hollywoodiens, tel que Le roi lion des studios Walt Disney. La mise en scène ne l'empêche nullement de poursuivre sa carrière d'acteur où son physique lunaire, son humour poético-burlesque lui confèrent des airs chaplinesques et concourent beaucoup à sa renommée. Mais il accède véritablement à la gloire internationale en 1997 avec un film qui va lui mériter, tout à la fois, le Grand prix du jury à Cannes ainsi que l'Oscar du Meilleur film étranger et du Meilleur acteur à Hollywood en 1998 : La vie est belle, l'histoire d'un père qui tente de protéger son fils de la réalité des camps de concentration nazis en lui faisant croire que tout cela n'est qu'un jeu. Derrière et devant la caméra, Benigni, qui n'est pas seulement le réalisateur et le scénariste mais l'interprète de ce film, réussit un doublé d'excellence stupéfiant, poignant, qui met en valeur les notions de courage, de liberté, d'amour, d'humanité en passant - comme le faisait Chaplin - de la tragédie à la comédie, du rire aux larmes.
On s'est demandé, à propos de ce film, contesté par certains, s'il était permis de rire de tout, c'est-à-dire des sujets les plus dramatiques comme celui de la Shoah et des camps d'extermination, mais Benigni n'a pas cherché à faire oeuvre sur la Shoah, ce que d'autres ont réalisé en respectant scrupuleusement l'Histoire ; non, il a tenté de montrer que la seule arme capable de venir à bout de l'horreur était l'amour. Son mérite est de n'être tombé dans aucun des clichés qui le guettaient et de n'avoir eu recours à aucun artifice mélodramatique. Ce qui comptait pour lui - a-t-il dit - était de montrer le versant irréel et amusant des choses, car la vie conserve, en toutes circonstances, un prix inestimable, une saveur si forte qu'elle permet de résister aux pires sévices. Ce camp, ajoutait-il, qui a servi de décor au film, n'est pas une réplique de ceux de l'Allemagne nazie, ce n'est qu'une idée, au sens quasi platonicien, l'idée d'un antre du Mal, d'un antre de monstre, comme dans les contes pour enfants. Il n'y a rien de plus terrible à exprimer que la terreur, car l'horreur est en soi incommensurable. C'est même si inconcevable qu'il apparaît presque facile à Guido, le père, de laisser croire à l'enfant que cela est un jeu, car fuir le réalisme n'est pas trahir la réalité. L'artiste opère toujours une trahison quand il écrit ou filme. On pense à cette phrase de Keats : "quand une chose est belle, elle devient réelle". Alors, poursuit Bénigni, si mon film est réussi, et je l'espère, le camp que je dépeins devient vrai. Pour le personnage de Giosuè, j'ai choisi l'âge que l'écrivain Conrad définissait comme celui de la ligne d'ombre de l'enfance, l'âge où l'on comprend mais aussi celui on l'on peut croire qu'il s'agit d'un jeu. Et Giosuè a probablement tout compris.
Le film commence comme une comédie facétieuse, afin d'introduire un climat de conte de fées, où l'on voit un modeste serveur de restaurant employer toutes les ressources de son imagination pour conquérir la femme qu'il aime ( Nicoletta Braschi ) et l'enlever au nez et à la barbe de sa famille et de son fiancé, un fonctionnaire fasciste. De cette union va naître un enfant Giosuè que, cinq ans plus tard, deux policiers en civil vont enlever avec son père et envoyer dans un camp de concentration allemand. Dora, qui n'est pas juive, exigera de les accompagner. Mais elle est séparée de son mari et de son fils et le film devrait sombrer dans le pire cauchemar. Au contraire, le talent de conteur du père va transformer cette réalité en rêve et persuader le petit garçon qu'il est au coeur d'un jeu gigantesque dont le trophée final, s'il suit bien les recommandations paternelles, sera un char d'assaut. Et, en effet, l'enfant aura son char d'assaut et retrouvera sa mère, mais le père sera tué alors qu'il tentait de rejoindre sa femme et lui criait son amour à l'aide d'un haut-parleur du camp. Cette scène d'une beauté bouleversante introduit dans ce climat carcéral le sentiment le plus vif et le plus pur qui soit et, pour quelques instants, éclaire ces lieux sordides, d'une lumière surnaturelle, ce qui prouve que l'art peut être mieux que la vie et la réécrire en la transformant. Tout est dans le regard de l'artiste qui a en charge de rendre à cette inhumanité les couleurs de l'espérance. Mission accomplie par un Roberto Benigni inspiré, émouvant dans ce duo intemporel avec l'enfant où, grâce à son imagination, il réinvente un univers supportable, le fait exister et nous le donne à voir sans céder à des facilités narratives. Le cinéaste a réussi le pari difficile de transposer le rêve dans la réalité la plus abjecte. La qualité de son interprétation, qui oscille entre le grave et le loufoque, ainsi que celle admirable de l'enfant, et la poésie qui s'en dégage, y sont pour beaucoup. Cette fable est un chef-d'oeuvre qui prouve, si besoin était, que le cinéma italien a encore de beaux jours devant lui.
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