Le Festival de Cannes 2007 s'était ouvert avec ce film de Wong Kar-Wai qui avait mis la critique officielle en ébullition. Ce long métrage décevait la plupart, séduisait les autres, sans convaincre tout à fait et pourtant. Voilà un film qui vient normalement prendre rang parmi ceux qui forgent l'oeuvre d'un réalisateur hors du commun, non un artisan de la pellicule aussi doué soit-il, mais l'un de ces rares artistes que compte le 7e Art, de ces metteurs en scène qui ont su trouver un ton, créer un univers à nul autre pareil. C'était le cas de Fellini, Visconti, Bresson, Bergman, Welles, Lubitsch, c'est aujourd'hui le cas de Wong Kar-Wai. Dans "My Blueberry Nights", sa première réalisation en anglais, le hongkongais lâche la chanteuse Norah Jones entre New-York et Las Vegas dans une errance urbaine introspective qui lui révélera in fine la nature de sa quête. Après une séparation douloureuse, Elisabeth - tel est son prénom - pour échapper au langoureux souvenir de celui qui vient de la quitter, s'aventure dans un voyage qui n'est autre qu'une fuite en avant, s'arrêtant ici et là, afin de financer son road movie en exerçant des petits boulots comme celui de serveuse. C'est ainsi qu'elle réalise à quel point les êtres qu'elle côtoie ne sont pas en meilleur état qu'elle et qu'elle est entourée de toutes parts par un véritable abîme de solitude et devient, par la force des choses, la confidente d'autres détresses et d'autres strophes pathétique. En définitive, cette échappée, ce sauve-qui-peut est une odyssée sentimentale et mélancolique, un film sur la fuite et l'abandon, où l'héroïne essaie de se délester et de dire adieu à son ancienne vie, de manière à se reconstruire. C'est donc en premier lieu une expérience intime, une balade initiatique, une quête pour donner sens à une existence qui se dévide apparemment sans cause, ni raison, et pour laquelle le réalisateur privilégie les chemins intérieurs, tout en jouant habilement de la métaphore. C'est par ailleurs un poème nostalgique qui pose la question suivante : comment faire pour récupérer un être aimé ou plutôt comment faire pour l'oublier et prendre un nouveau départ ? Cela filmé par une caméra ultra-sensible dans les couleurs bleutées des nuits fauves, composant un univers crépusculaire qui n'appartient qu'à son auteur et que l'on reconnaît dès les premières images, ce qui prouve à quel point WKW a su se créer un style personnel unique que traduit avec virtuosité l'objectif de Darius Khondji, son nouveau chef-opérateur.
Certes, ce dernier film n'introduit rien de très nouveau, mais est-il si nécessaire qu'un film ou un livre soit à chaque fois innovant ? N'est-il pas préférable qu'un auteur compose une oeuvre qui se définisse justement par un ton, un style, une cohésion ? Et n'est-ce pas le cas ici où "My Blueberry Nights" rejoint naturellement l'oeuvre de longue haleine commencée avec "Les cendres du temps", "Les anges déchus", "Happy together" et qui se poursuivit avec "In the mood for love" et "2046" ? Comme dans les ouvrages précédents, le temps est soumis à des ralentis dont l'auteur se plait à user pour préserver la beauté et la rendre moins éphémère - travail elliptique et allusif à la façon d'un Antonioni dont il se réclame - afin de ponctuer une narration en contre-champ et créer un monde comme suspendu entre rêve et réalité, illusion et certitude, mais qui ne renonce pas pour autant aux satisfactions gourmandes d'images savoureuses où desserts nappés, glaces colorées, tartes aux myrtilles, ces plaisirs de bouche s'allient à une sensualité de climat très familière à WKW. Quant au baiser entre Norah Jones et Jude Law, il sera à inscrire au panthéon des baisers mythiques de l'histoire du cinéma. Un film qui ne déçoit pas tant il s'inscrit dans la durée d'une voie librement ouverte sur l'incertitude de soi.
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WONG KAR-WAI OU UN CINEMA DE LA NOSTALGIE
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