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10 février 2011 4 10 /02 /février /2011 10:53
LE DISCOURS D'UN ROI de TOM HOOPER

     
Grande-Bretagne, Londres, les années 30, l'entre deux-guerres. Albert, alias Bertie, coule des jours heureux dans sa modeste demeure de Picadilly entre sa femme Elisabeth, princesse écossaise, et ses deux filles Elisabeth et Margaret. Fils du populaire Georges V, frère du charismatique Édouard VIII, timide et bègue, l'homme ne semble pas taillé pour le pouvoir. Mais l'histoire en décide autrement. Contraint et forcé de prendre la couronne des mains d'un aîné préférant l'amour d'une aventurière américaine, le jeune roi se heurte à la tendance du moment bien difficile à assumer pour un bègue : la radiophonie. A l'heure des discours de dictateurs galvanisant les foules, façon Hitler, poser et imposer une voix au rayonnement mondial, fait plus que loi, nécessité. Prêt à tout pour surmonter son handicap, Bertie entame un traitement orthophoniste, proche de la thérapie, avec un certain Lionel Logue, praticien aux méthodes originales et parfois même, peu orthodoxes, sans diplôme et sans référence honorifique. Le défi de ce dernier, qui n'est pas des moindres : redonner force et intransigeance à la voix de l'Angleterre.

 

Sujet difficile s'il en est, le réalisateur Tom Hooper, peu connu de nos concitoyens, s'y est attaqué avec un réalisme, une justesse de ton, une simplicité tellement éloquente, que les deux heures de projection procurent une émotion dont j'étais loin de me douter, avant d'en être pleinement victime... Oui, ce film est tout simplement, et avant tout, bouleversant. Il montre, ou plutôt démontre, comment un homme ordinaire, pas particulièrement doué, peut arriver, par sa volonté et son courage, à surmonter ses appréhensions et à accepter d'endosser et d'assumer un destin extraordinaire. Ce destin est celui du prince Bertie que l'abdication de son aîné va obliger à prendre la lourde succession de son père, le très aimé roi Georges V, en des temps plus que difficiles, dramatiques, ceux de la guerre de 39/45 et comment, par la suite, lui et son épouse seront aux côtés de leur peuple à tous moments, accompagnés de l'homme providentiel que sera le premier ministre Winston Churchill. 

 

Film événement de par la qualité de sa mise en scène,  l'évocation d'un épisode historique méconnu, ce long métrage est d'ores et déjà nominé douze fois pour les Oscars et Colin Firth vient de recevoir, pour son rôle du roi Georges VI,  un Golden Globe, ce qui laisse supposer que la suite va encore réserver quelques bonnes surprises. Car le public est là. Hier après-midi, à Deauville, il n'y avait pas un strapontin de libre, ce qui est rare à cette heure de la journée. Et le public est resté longtemps assis après que la lumière soit revenue, aux prises avec une indiscutable émotion, celle que suscite cette formidable démonstration où nous assistons à l'accouchement douloureux d'un homme qui accepte, malgré ses craintes et ce qu'il croit être une indignité physique, la charge écrasante de roi. D'autant que l'époque, et les progrès de la technique, obligent désormais les chefs d'état à être, non seulement les garants du pouvoir, mais des orateurs. D'où la toujours grande actualité du sujet.

 

Aux dialogues irrésistibles, à la construction théâtrale parfaitement maîtrisée, aux symboles attachés à la figure du monarque, aux saynètes intimes et charmantes où l'on entre dans la vie familiale du prince puis du roi, aux paysages de la campagne anglaise baignés de brume, il faut s'émerveiller du choix des acteurs tous époustouflants dans leurs rôles et tellement convaincants, que l'on voit s'ouvrir, devant nos yeux, un pan de l'histoire contemporaine de la Grande-Bretagne, dont on ne sait que trop qu'elle a traversé les situations les plus graves et rebondi avec dignité. Après avoir tourné dans Bridget Jones, l'acteur Colin Firth entre pleinement dans la peau de Georges VI et, grâce aux conseils de David Seidler, le scénariste, bègue lui aussi,  nous convainc sans peine, tant il met d'intelligence et de sensibilité, de certitude et de doute, dans son personnage. Il avoue lui-même que ce ne fut pas facile et qu'il a surtout cherché à jouer l'angoisse que peut générer une telle difficulté à s'exprimer, ce blocage qui survenait, chez le monarque, dès qu'il  était tenu à prendre la parole. Face à lui, magistral, nous trouvons un autre acteur Geoffrey Rush, lui aussi peu familier du public français, qui endosse avec force et humour, insolence et humanisme, un acteur raté, australien d'origine, devenu orthophoniste à la suite des difficultés d'élocution d'hommes et de femmes qu'il a croisés dans son existence et dont le nom est resté longtemps secret : Lionel Logue. Soigner un membre de la famille royale ne l'impressionne nullement et, dès le premier contact, il va imposer ses exigences et la discipline qu'il entend faire respecter par son client. L'amitié qui s'installe entre ces deux hommes ne faiblira jamais et ne subira aucune  éclipse. Leur face à face est un grand moment de cinéma et une réussite rare, un vrai régal pour les spectateurs. N'oublions pas les autres rôles admirablement assumés : celui de l'épouse de Georges VI, la délicieuse reine Elisabeth, joué avec charme et sobriété par Helena Bonham et celui d' Edouard VIII, au règne si bref, par le sémillant  Guy Pearce. Une seule erreur de casting dans cet opus brillantissime : un Churchill trop caricatural, grimé en cabot à la lèvre pendante et aux clins d'oeil ironiques vraiment trop forcés.

 

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LE DISCOURS D'UN ROI de TOM HOOPER
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18 juillet 2010 7 18 /07 /juillet /2010 09:05
TAMARA DREWE de STEPHEN FREARS

      
Stephen Frears a d'autant mieux séduit le public que ce cinéaste s'est essayé à tous les genres avec le même succès. Consacré par la réussite de  My beautiful Laundrette  en 1985, il a été pris à tort pour le nouveau spécialiste du film social, alors que ses deux films précédents Gumshoe et The Hit  prouvaient qu'il pouvait exceller également dans le thriller. En définitive, ce réalisateur atypique est aussi à l'aise dans le film à la rigueur documentaire comme The Snapper ou The Queen que dans la comédie hollywoodienne, ou dans des oeuvres qui lui permettent les reconstitutions d'époque (par exemple l'Amérique des années 1980 dans High Fidelity), sachant d'emblée trouver l'imagerie et le souffle qui conviennent. Car, ce qui est essentiel pour lui, c'est le scénario et ceux qu'il a portés à l'écran jusqu'à ce jour, sont tous irréprochables. Madame Henderson avait illustré le savant mélange d'ironie et d'émerveillement avec lequel il filmait les numéros musicaux et avec son dernier opus  Tamara Drewe,  tiré du roman graphique de Posy Simmonds et qui n'est pas sans rappeler " Les liaisons dangereuses ", il aborde avec le même bonheur la comédie pastorale, égratignant au passage et de façon réjouissante, mais sans nul doute vacharde, un phalanstère rural d'écrivains londoniens.

 


Pour incarner le joli brin de fille qui va semer la zizanie dans une village du Dorset, campagne anglaise chère à Thomas Hardy (un clin d'oeil à Tess d'Uberville), avec une insolente fraîcheur, Frears a posé son dévolu sur Gemma Arterton, aux longues jambes et au visage délicieusement enfantin et délicat qui a tôt fait de faire chavirer les coeurs et les sens de quelques respectables quinquagénaires. Difficile de trouver mieux que cette jeune anglaise pour camper cette héroïne, incarnation rêvée de l'Eve tentatrice, mélange harmonieux d'innocence et de provocation, qui s'était déjà fait remarquer dans " Le choc des titans" et " L'enlèvement d'Alice Creed ". Drôle, pétillant, parfois cruel et toujours sexy, cette variation euphorisante, sortie en salles le 14 juillet 2010, avait déjà égayé le dernier Festival de Cannes et suscité quinze minutes d'ovation, c'est dire que le talent de Frears et le charme de Gemma Arterton font mouche. Imparable !

 

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TAMARA DREWE de STEPHEN FREARS
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9 mai 2010 7 09 /05 /mai /2010 08:50
LA VIE DES AUTRES de FLORIAN HENCKEL

                           

" Les horreurs sont supportables tant qu'on se contente de baisser la tête, mais elles tuent quand on y réfléchit".  Erich Maria REMARQUE

 

Film admirable que "La Vie des autres" de Florian Henckel, dans lequel on entre d'emblée et qui installe la tension dès les premières images de l'interrogatoire d'un jeune détenu auquel un officier sinistre demande de livrer à la Stasi l'un de ses amis, de se faire délateur pour le bien de l'Etat. Nous sommes en 1984 dans l'ex RDA qui signifie, non sans humour noir - République démocratique allemande - du camarade Erich Honecker, à l'apogée de l'effroyable système totalitaire marxiste imposé à l'Allemagne de l'Est par l'URSS, à la suite de la dernière guerre, faisant passer cette partie du territoire allemand du régime nazi au régime communiste et montrant ce que l'oppression a d'universel lorsqu'elle s'érige en un système de gouvernement reposant sur la terreur collective, la suspicion et la dénonciation.
 


Ce long métrage, qui est tout ensemble un film politique et d'amour, un documentaire, un thriller, prouve qu'il n'est nul besoin de trafiquer l'histoire pour construire un scénario sensé susciter l'intérêt, mais qu'il est préférable, comme c'est le cas ici, de cerner la vérité au plus près et de la restituer dans son oppressant climat. Et cette vérité quelle est-elle ? Celle d'un régime inhumain qui a tenté cette expérience terrifiante d'instrumentaliser l'homme de telle façon qu'il ne soit plus qu'un exécutant au service d'une idéologie mortifère. La Vie des autres revisite donc notre histoire quasi contemporaine ( puisque des régimes marxistes existent encore ) sans tabous et témoigne d'une prise de conscience enfin objective des conséquences du marxisme. Après l'ouvrage Le livre noir du communisme, ce film dépeint un univers kafkaïen, fantomatique, qui fut pour de nombreuses populations une descente aux enfers et un enfermement dans des pays qui devenaient soudain des camps retranchés derrière des murs de la honte et mettait ainsi une partie du monde hors de toute information extérieure et de toute légitimité. Nous sommes affrontés à une philosophie qui conteste l'homme en tant que personne, qui le prive de sa liberté, de son autonomie, de son libre arbitre, de sa créativité ; en quelque sorte de son âme, mot compromettant auprès des instances marxistes. L'homme n'a pas à être, il a à se conformer, ou plutôt à être conforme aux critères imposés, qui ne sont autres que ceux d'un communautarisme à outrance.


Qui est Wiesler, cet officier de la Stasi - l'égale de la Securitate roumaine ou du KGB soviétique - qui est chargé de surveiller l'écrivain et auteur dramatique Georg Dreyman et sa compagne, la belle actrice Crista-Maria Sieland ? Il n'est ni plus ni moins qu'une sorte de robot au masque glacial, aux gestes mécaniques, une machine bien huilée formée à l'école de la Stasi pour dé-construire l'homme et, principalement, l'artiste, cet insupportable cavalier seul... Et il va s'y employer avec zèle 24 heures sur 24, l'espionnant ou le faisant espionner, ayant criblé son appartement d'un réseau d'écoutes, scrutant chacun de ses actes, de ses mots, de ses silences, jusqu'à vivre une vie par procuration, puisque lui-même n'en a pas... C'est alors que l'on entre dans la fiction magnifique de ce film et que Wiesler va commencer à s'humaniser au contact de l'amour et de l'art, que son coeur va s'éveiller grâce à la musique de Beethoven et à la lecture de Bretch, que le masque va peu à peu se fissurer.

                     
 

Selon Hubertus Knab, si le personnage de Wiesler est conforme à la réalité au début du film, son humanisation aurait été impossible du temps de la RDA pour la raison que la Stasi surveillait chacun de ses agents, dont la moindre trahison était punie de mort. En définitive, la fonction des opérateurs était strictement cloisonnée, de manière à ce qu'aucun dérapage ne soit envisageable. Celui qui écoutait un suspect et était chargé de le suivre ne savait pas qui il était, aussi se contentait-il de transmettre un rapport à son département. C'est d'ailleurs ce cloisonnement qui permit la si longue durée de ces dictatures.


Le film est donc une fiction, mais quelle fiction admirable ! car elle rend avec réalisme l'atmosphère de ces villes ternes, sans couleur, dépersonnalisées, ces décors austères, uniformes, désespérants, cités concentrationnaires aux rues sordides, où aucune vie de voisinage n'existait et où chacun s'empressait de regagner son HLM qui lui assurait un semblant d'intimité. Une fiction qui répond à ce besoin fondamental qu'éprouve tout homme de bonne volonté de refuser une réalité sans espoir et de croire possible que même au plus profond du mal il existe une possibilité pour le bien.
Ainsi va-t-on assister à la lente rédemption de Wiesler, sauvant la vie de celui qu'il était chargé de compromettre. La fin est bouleversante : la mort de Christa-Maria, l'actrice, qui préfère se suicider, comme tant d'allemands de l'Est, parce qu'elle a eu un moment de peur et de faiblesse et dénoncé celui qu'elle aimait ; Dreyman découvrant plus tard aux archives le nom de son protecteur auquel il dédicacera son prochain ouvrage et Wiesler, devenu simple facteur, apercevant dans la vitrine d'une librairie le roman de l'homme qu'il a sauvé au prix de sa carrière et répondant au vendeur qui le questionne : c'est pour moi - acte de son autonomie retrouvée.



D'autre part, ce très beau film est scandé par des scènes qui donnent à l'oeuvre sa saveur douce-amère, particulièrement celle de l'enfant et de son ballon ou encore de la cantine, digne d'un suspense à la Hitchcock. Tout est remarquable dans ce premier long métrage de Florian Henckel : la construction solide du scénario, les séquences sans effets mélodramatiques qui évitent de forcer l'émotion et l'interprétation d'acteurs excellentissimes, que ce soit Sebastian Koch, Martina Gedeck et Ulrich Mühe, qui rend si convaincante sa métamorphose d'un homme peu à peu rejoint par son humanité. Un chef-d'oeuvre.
L'acteur Ulrich Mühe est décédé un an après la sortie du film des suites d'un cancer.

 

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LA VIE DES AUTRES de FLORIAN HENCKEL
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24 février 2010 3 24 /02 /février /2010 11:11
LAWRENCE d'ARABIE de David LEAN, DE LA REALITE A LA LEGENDE

      

Il y a d'abord, venant à notre mémoire, l'image que Peter O'Toole nous a imposée du personnage quasi légendaire du colonel Lawrence dans le film de David Lean. Mais il y a la réalité de l'homme qui a inscrit son parcours dans la terre de l'actuelle Jordanie en contribuant à fédérer les diverses tribus bédouines et à les entraîner à se libérer de la tutelle turc lors de la Première Guerre mondiale. Il y a aussi et surtout celui dont la mort reste presque aussi énigmatique que la vie et l'auteur d'un chef-d'oeuvre : Les sept piliers de la sagesse. Oui, Lawrence d'Arabie, né le 16 août 1888 au pays de Galles, avait tout pour séduire un metteur en scène tel que David Lean, amoureux des grands espaces et des aventures hors du commun. Le film aux 7 Oscars, qu'il lui a consacré, compte parmi les grandes réussites du 7e Art, de par la beauté fulgurante des images et de l'aventure intelligemment relatée de l'homme qui voulut être arabe parmi les arabes, ayant subi l'envoûtement de ces défilés et de ces vallées qui offrent des paysages fantastiques avec leurs dunes de sable rouge et leurs roches ouvragées par le vent, sur lesquels passent des nuits étonnement étoilées et des jours intensément bleus. N'oublions pas que le film doit beaucoup à l'interprétation d'acteurs chevronnés comme Anthony Quinn, Peter O'Toole, Alec Guinness, Jack Hawkins, José Ferrer et d'un nouveau venu qui crevait déjà l'écran en prince noir, découvert par Youssef  Chahine, le libanais-égyptien Omar Sharif ; sans oublier la musique de Maurice Jarre que le commandant de bord, lors de notre croisière en mer Rouge, ne manqua pas de diffuser lors de notre entrée dans le port d'Aqaba. 

 

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Portrait de  Thomas Edward Lawrence  ( 1888 - 1935 )


Héros pour les uns, mystificateur pour les autres, cet aventurier a traversé l'histoire avec panache et achevé curieusement sa vie animé du désir obsessionnel de l'anonymat. En 1914, Lawrence, jeune archéologue en mission dans le Moyen-Orient, refusé dans l'armée active pour raisons de santé, réussit à se faire accepter comme agent dans l'Intelligence Service. Un renouveau du nationalisme arabe s'étant produit dans les années précédant immédiatement la Grande Guerre avec le mouvement des "jeunes turcs", l'Angleterre, et particulièrement Lord Kitchener, a l'idée de gagner à la cause alliée les forces turques de Mésopotamie et de susciter une révolte capable de provoquer le démembrement de l'empire de Constantinople. Pour préparer ce soulèvement, Lawrence est dépêché auprès de l'émir Fayçal ibn Hussein et de Hussein, son père, grand chérif de la Mecque, rallié à la cause anglaise. Il s'agissait d'une mission destinée à servir les seuls intérêts anglais, bien entendu. Mais elle provoque chez Thomas Edward Lawrence le réveil d'un vieux rêve de jeunesse poursuivi depuis ses années d'étudiant à Oxford. L'agent de l'Intelligence Service cesse bientôt de voir dans la révolte un simple moyen. Elle devient à ses yeux une fin prestigieuse. Il s'agit de créer une nation nouvelle et de faire revenir au monde une influence perdue, de donner à 20 millions de sémites les fondations sur lesquelles bâtir un château de rêve avec les inspirations de leur pensée nationale.

 

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Bédouins dans le désert du Wadi Rum (photo Yves Barguillet )


L'entreprise échouera, car sans détromper les Arabes, il est évident que Lawrence, malgré et contre ses voeux, ne cessa de servir la cause britannique. " L'honneur - écrivit-il - ne l'avais-je pas perdu l'année précédente, quand j'avais affirmé aux Arabes que les Anglais tiendraient leurs engagements ? " Mais plus profondément, le projet d'une résurrection politique du monde arabe est un rêve que le jeune colonel oublia d'asseoir sur de solides bases historiques. Il avait recherché l'âpre sentiment de la totale indépendance que lui conférait cette force guerrière cimentée par une pure idée. " Nous étions une armée concentrée sur elle-même, sans parade ni geste, toute dévouée à la liberté, la seconde des croyances humaines " - écrira-t-il. Pour gagner les Arabes, le colonel avait voulu les imiter, empruntant leurs habits, leurs rites, afin qu'eux-mêmes, le jour venu, l'imitent à leur tour. Mais cela était-il possible ? Lawrence le reconnaîtra lui-même et notera dans ses mémoires :
" Comment se faire une peau arabe ? Ce fut de ma part affectation pure. Il est aisé de faire perdre la foi à un homme, mais il est difficile ensuite de la convertir à une autre. Ayant dépouillé une forme sans acquérir de nouvelle, j'étais devenu semblable au légendaire cercueil de Mohammed. "


Malgré lui, le colonel Lawrence est resté un étranger pour les Arabes. La solitude a marqué son destin d'une sceau indélébile. Avec lui, on atteint au point extrême de la rêverie politique. Lawrence est de la race des Chateaubriand, des Barrès et, plus proche de nous, d'un Malraux. " Les rêveurs du jour - notera-t-il  en songeant à lui-même - sont des hommes dangereux, car ils peuvent jouer leur rêve les yeux ouverts et le rendre possible. C'est ce que j'ai fait. "
Si son entreprise lui plait, ce n'est pas tant pour le bonheur à venir d'un peuple que comme la plus belle figure de ses songes. Si bien que l'on peut se demander si l'échec n'a pas été volontaire et destiné à préserver la pureté du rêve : moins que la conquête, c'est l'effort qui exalte le jeune colonel.
" Je t'aimais,c'est pourquoi, tirant de mes mains ces marées d'hommes, j'ai tracé en étoiles ma volonté dans le ciel, afin de gagner la liberté, la maison digne de toi."
Et il ajoute : " Quand une chose était à ma portée, je n'en voulais plus. Ma joie était dans le désir."


L'aventure pour Thomas Edouard Lawrence ressemble beaucoup à ce salut par l'art qui tentait les écrivains de la fin du XIXe siècle. Lawrence n'édifia point l'empire arabe mais, qu'importe  l'échec ou le succès de l'entreprise !, si cette dernière lui a permis de façonner quelque oeuvre d'art. L'auteur était trop lucide pour ne pas se l'avouer : - ma guerre était trop méditée, parce que je n'étais pas soldat, mes actes étaient trop travaillés parce que je n'étais pas un homme d'action. " Je n'avais eu - poursuivait-il  - qu'un grand désir dans mon existence - pouvoir m'exprimer sous quelque forme imaginative, - mais mon esprit trop diffus n'avait jamais su acquérir une technique. Le hasard, avec un humour pervers, en me jetant dans l'action, me donnait une place dans la révolte arabe contre l'occupant turc et m'offrait ainsi une chance en littérature, l'art-sans-technique ! "


Ainsi le colonel Lawrence a-t-il jugé son épopée dans les sables du désert. Rentré en Grande-Bretagne aussitôt la fin de la Grande Guerre, il devint le conseiller de Winston Churchill et obtint que la couronne d'Irak revint au prince Fayçal ( 1883 - 1933 ) qui venait de perdre le trône de Syrie. A la fin de 1926, il fut assigné à une base en Inde et y restera jusqu'en 1928, date à laquelle il sera rappelé à Londres à la suite de rumeurs infondées d'espionnage en Afghanistan. Le 13 mai 1935, alors qu'il roulait à vive allure à moto, il perdra le contrôle de son engin en voulant éviter deux jeunes cyclistes et mourra des suites de cet accident 6 jours plus tard. Il repose dans un petit cimetière du Dorset.

 

Etait-il un agent secret, était-il homosexuel comme certains textes pourraient le laisser supposer, sa mort fut-elle vraiment accidentelle ? Autant d'énigmes qui n'ont pas été élucidées. Il existe des destins qui semblent verser naturellement dans l'univers romanesque. Celui de Thomas Edward Lawrence est de ceux-là. Pour certains, il aurait combattu son homosexualité en s'imposant une vie d'ascète faite d'exercices physiques, de travail et de privation. Ce serait la clé de son étrange et mystérieuse personnalité et de l'intérêt qu'il n'a cessé d'inspirer.

 

Vous pouvez également consulter l'article que j'ai consacré à David Lean en cliquant sur son titre :  


DAVID LEAN, L'IMAGIER PRESTIGIEUX  

 

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Les sept piliers dans le désert de Wadi Rum qui ont inspiré le titre des mémoires de Thomas Edward Lawrence ( Photo Yves Barguillet )

 

LAWRENCE d'ARABIE de David LEAN, DE LA REALITE A LA LEGENDE
LAWRENCE d'ARABIE de David LEAN, DE LA REALITE A LA LEGENDE
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21 janvier 2010 4 21 /01 /janvier /2010 09:32
TSAR de PAVEL LOUNGUINE

   

Il y a plusieurs façons de regarder le film grandiose de Pavel Lounguine. On peut le faire avec un oeil de cinéphile pour en apprécier la maîtrise de l'image, la densité narrative et en critiquer une certaine lenteur contemplative qui en ralentit fatalement le rythme. On peut également voir dans ce portrait taillé avec ampleur, à la façon d'un opéra servi par la musique de Youri Krassavine, le miroir d'un pays qui ,de Ivan à Staline, a accepté de se ployer sous le joug de pouvoirs à la main de fer. Car de la mise en scène à la direction d'acteurs, le cinéaste nous livre une oeuvre inspirée et mystique qui évoque la confrontation physique et morale qu'eurent au XVIe siècle le tsar Ivan et le métropolite de Moscou Filipp. Ce face à face n'est pas sans rappeler celui du " Meurtre dans la cathédrale" de Jean Anouilh où Thomas Beckett, archevêque de Canterbury, s'opposa à son souverain le roi Henri II d'Angleterre. Ici, nous sommes en Russie en l'an 1565 : le pays est menacé d'invasion par la Pologne. C'est alors qu'Ivan fait régner sur l'immense territoire une atmosphère de terreur et de délire religieux. Selon lui, sa mission de sauver la sainte Russie l'exempte de toute référence morale et l'autorise aux exactions les plus cruelles, afin de détruire ceux nombreux qui pourraient s'opposer, de quelque façon que ce soit, à sa politique, couvrant de son autorité les pires horreurs perpétrées par ses sbires : sa garde personnelle " les chiens du tsar ". Tortures, meurtres, rien n'arrête ce dictateur paranoïaque. Peu de temps auparavant, supposant qu'il servirait sa cause sans mot dire, le souverain a placé à la tête de l'église orthodoxe son ami d'enfance : Filipp. Ce dernier va néanmoins s'élever avec indignation contre le spectacle d'une politique de répression intolérable et aveugle, brandissant le calice contre le sceptre et la couronne.
 

Pavel Lounguine  poursuit avec ce nouvel opus, et après " L'île ", son exploration de l'âme russe, mettant en scène ce conflit entre deux visions opposées de la religion : celle exaltée et manichéenne du tsar qui la manipule au service d'une conception absolutiste du pouvoir et celle authentiquement spirituelle du métropolite pour qui le Christianisme tient avant tout dans l'imitation miséricordieuse du Christ. Il apparait évident que le troisième personnage du film n'est autre que la foi, cette foi qui prend les traits d'une petite fille ballottée entre la douceur maternelle des icônes de la Vierge et la divination de l'Etat, telle que la souhaiterait le tsar qui se prend tout simplement pour Dieu et a, de ce fait, une approche religieuse de sa mission (et il eut des successeurs, hélas !). La stature que Pavel Lounguine prête à son personnage est absolument stupéfiante. Celui-ci ira jusqu'à faire assassiner le métropolite, son ami, non sans remords, ni souffrance, ce qui traduit bien les ambivalences et la complexité de ce personnage hors normes. L'acteur  Piotr Mamonov  n'est pas sans évoquer le Klaus Kinski de  Aguirre, la colère de Dieu,  interprétant son rôle de façon magistrale et impressionnante, presque hallucinée. Pour lui donner la réplique, Filipp, incarné par  Youri Kuznetzov,  est le versant mystique et émotif de cette Russie médiévale et tous deux durant deux heures nous font vivre un face à face d'une intensité passionnante. Un grand moment de cinéma.

 

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9 janvier 2010 6 09 /01 /janvier /2010 08:36
BRIGHT STAR de JANE CAMPION

      

Jane Campion, on le sait, est une cinéaste de talent qui a le don de varier ses thèmes et de nous surprendre par des narratifs aussi opposés que l'est son dernier opus "Bright Star" consacré aux amours du poète John Keats et de sa jeune voisine Fanny Brawne, par rapport à son précédent  (2003) "In the cut", film d'horreur au coeur de la vie urbaine. Projeté au tout début du Festival de Cannes 2009, "Bright Star",  peu en phase avec une compétition dominée par des oeuvres résolument contemporaines et souvent violentes, reçut un accueil mitigé, voire dédaigneux, d'autant qu'il était, au regard d'un public avide de modernité innovante, desservi par son apparent classicisme et son récit des amours platoniques de deux jeunes gens au coeur de l'Angleterre prévictorienne des années 1920. Néanmoins, le public avait tort de ne lui accorder qu'une attention  distraite, car ses qualités en font une oeuvre attachante pour la beauté de ses images, sa communion avec la nature, la fluidité de sa mise en scène, l'excellence de son interprétation, et parce qu'elle donne à entendre des textes d'un  poète d'une profondeur saisissante, ce John Keats décédé de la tuberculose à l'âge de 25 ans dans la plus totale indifférence et qui compte, de nos jours, de par ses poèmes au souffle immense, parmi les meilleurs poètes du monde anglo-saxon. D'ailleurs le titre du film "Bright Star" (Etoile brillante) est le titre de l'un d'entre eux.


La réalisatrice a su éviter de figer les images dans des décors surchargés par les exigences de la restitution d'époque et d'exalter au contraire la beauté naturelle des extérieurs, captés au fil des saisons par une caméra aussi voluptueuse et caressante qu'un pinceau. Entre les deux héros, admirablement campés par  Abbie Cornish (Fanny) et  Ben Whishaw  (John Keats) s'esquisse une relation qui va très vite devenir passionnelle, vécue en secret jusqu'à ce que la maladie ne vienne arracher les amants l'un à l'autre. Bien que Jane Campion se soit refusée à céder à des scènes torrides et contentée d'un chaste baiser, le film est empreint d'une ferveur et intensité si bien intériorisées, qu'elles sont plus crédibles que ne le seraient les débordements affectifs et sexuels qui affligent souvent l'ensemble de la production actuelle. Entre les deux protagonistes s'installent une grâce, une émotion qui vont crescendo et on devine, bien sûr, que cet amour, encore au stade de l'émerveillement et de la retenue, est condamné d'avance à rester suspendu dans le temps... incantatoire et immortel comme les poèmes qui l'inspirent. Ainsi, au fil des quelques saisons qu'ils partagent, Fanny et John déclinent-ils une romance contrariée par les différences de classes sociales et la maladie. Ne cédant à aucun académisme, "Bright Star" s'impose à la manière d'un poème raffiné, servi par des acteurs inspirés et porté par une intensité déchirante. On s'explique facilement que Jane Campion ait été séduite par la vie brève et ardente de ce jeune poète britannique (1795 - 1821) qui se réfugiait volontiers dans le monde idéal de la Beauté, beauté qu'il s'était plu à exprimer dans Hypérion et Les Odes. Son pessimisme était compensé par cette ardente foi dans toutes les formes de beautés que l'art est en mesure de rendre et de transcender et seules capables de survivre à l'homme lui-même - disait-il. Lui qui écrivait : " Oh qu'on me donne une vie de sensation plutôt qu'une vie de pensée "  - semble avoir été exaucé et ce film, d'un charme envoûtant, qui la sollicite à chaque instant, lui rend en quelque sorte hommage.

 

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JANE CAMPION, UN CINEMA AU FEMININ

 

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BRIGHT STAR de JANE CAMPION
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6 octobre 2009 2 06 /10 /octobre /2009 09:29
VOLVER de PEDRO ALMODOVAR

        
Enfin un film où il n'est question que de femmes, mais où celles-ci ne se crêpent pas le chignon, ni ne se jalousent, ni ne s'invectivent, des femmes qui, au contraire, s'entraident, se pardonnent, s'unissent pour mieux résister au mauvais sort. C'est assez sympathique pour être souligné de trois traits rouges. En général, les hommes ont des femmes entre elles une vision négative ;  Pedro Almodovar  a cela d'unique qu'il aime non seulement les femmes mais les comprend et sait les mettre en scène avec tendresse, humour et sympathie, un peu comme le faisait, avec une résonance plus tragique, Ingmar Bergman. "Volver"  m'a emballée pour cette raison ; ses actrices filmées avec tellement d'égard et de complicité sont sensationnelles, naturelles, magnifiquement humaines et vivantes.


 

Film sur la filiation - puisque Volver signifie " revenir " -  Almodovar prend pour thème le retour au passé, aux racines, au surgissement d'entre les morts d'être aimés et, ce, dans une permanence ponctuée de drames et de joies. Dès la première scène au cimetière, les veuves et les orphelines sont à l'honneur. Mais veuve non seulement d'un mari, d'un amant ; surtout veuve et orpheline d'un amour sacrifié, d'une illusion perdue, d'une passion usurpée. "Volver " est à ce titre le rêve d'une fille qui a perdu sa mère et s'offre le miracle de l'étreindre à nouveau. D'où la magie de ce long métrage partagé entre douleur et bonheur, colère et optimisme. Un concentré de sentiments que le cinéaste traite d'une image sobre et pudique, servi par des actrices qu'il connait bien et sait utiliser au mieux de leur personnalité et de leur nature : Carmen Maura qui a accompagné ses débuts, Lola Duenas toute en interrogation et Penélope Cruz, sa dernière égérie, dans le rôle de Raimonda qu'elle empoigne avec une vigueur farouche emplie de sensibilité, de révolte et de fragilité, imposant sa présence et son charisme. Ici trois générations de femmes nous parlent de pardon, de transmission et de solidarité. Toutes sont habitées par des secrets honteux qui les rongent et les ont éloignées un moment les unes des autres, tissant un réseau désespérant d'incompréhensions et de méfiance.
 

 

 Le metteur en scène aborde également le rôle de la télévision racoleuse, exprimant symboliquement un voyeurisme malsain qui tranche d'autant plus et d'autant mieux avec son cinéma intimiste filmé à hauteur d'homme et habité d'un mysticisme païen vers lequel Almodovar semble évoluer. Cela donne lieu à des séquences d'une grâce touchante et d'une ferveur enjouée saisies dans le cadre romantique de la terre natale, avec pour finitude la dignité de ces femmes que le réalisateur immortalise avec gravité et émotion.


Pour lire les articles que j'ai consacrés à Pedro Almodovar et à Penélope Cruz, cliquer sur leurs titres :

 

PEDRO ALMODOVAR OU UN CINEMA ANTICONFORMISTE       

 

PENELOPE CRUZ - PORTRAIT

  

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19 juillet 2009 7 19 /07 /juillet /2009 09:15
THE READER de STEPHEN DALDRY

      

L'histoire se passe en Allemagne de l'Ouest au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. Michaël Berg, lycéen de 16 ans, est pris soudain, alors qu'il rentre chez lui, de fièvre et de vomissements. Comme il pleut, il s'abrite sous un porche et là une femme, qui habite ce quartier populaire et cet immeuble modeste, lui vient en aide et le réconforte. Il ne l'oubliera pas, et, à la fin de sa convalescence, décide d'aller lui porter un bouquet en guise de remerciement. Cette femme, d'une vingtaine d'années son aînée, s'appelle Hanna Schmitz et travaille comme contrôleuse de tramway. Le jeune garçon va vivre auprès de son initiatrice une romance passionnée qui durera ce que durent les roses : un été. Après les étreintes et les séances de lecture qu'Hanna se plaît à lui réclamer et que bien volontiers il lui consacre, rapportant de la bibliothèque des oeuvres aussi différentes que l'Odyssée d'Homère ou La dame au petit chien de Tchékov, la jeune femme disparaît sans laisser d'adresse. Quelques années plus tard, alors qu'il étudie le droit, Michaël assiste, avec son maître de conférence et d'autres étudiants, au procès d'anciennes gardiennes de camps de concentration nazis. Et, parmi elles, figure Hanna.
 

Cette révélation va le détruire en le privant de repères et d'idéal. A-t-il pu aimer un monstre, c'est-à-dire une personne si dénuée de conscience et de coeur qu'elle pouvait exécuter sans sourciller les ordres les plus abjects, ou bien a-t-il étreint un être sans consistance, sans conscience, sans humanité ? Ce procès, au fur et à mesure de son déroulement, se révèle d'autant plus pénible qu'Hanna concentre sur elle l'antipathie du Tribunal et accepte comme une fatalité d'être chargée de toutes les fautes par ses collègues. Quand on lui demande si c'est elle qui a rédigé un certain rapport accablant, elle répond d'abord par la négative, puis, lorsqu'on la prie de bien vouloir écrire pour vérifier l'identité des deux graphismes, elle se rétracte et dit oui. Ce oui est la clé du secret le plus enfoui d'Hanna. Davantage encore que la honte d'avoir participé de près ou de loin aux crimes nazis, la sienne est personnelle, mais tout aussi nocive, la cloîtrant dans l'ignorance : oui Hanna ne sait ni lire, ni écrire, elle est analphabète. Comme les poupées russes, ses secrets s'emboîtent les uns dans les autres. Peut-on en déduire que l'ignorance conduit aux pires égarements et vous disculpe de toute responsabilité, que quelque chose d'inhumain se dégrade à n'être pas utilisé dans un projet d'évolution culturelle ? Ce serait trop simple ! Car ceux qui donnaient les ordres, ceux qui avaient édifié cet abominable projet de sélection des races n'étaient pas des illettrés mais des hommes cultivés, des pères de famille respectables, des personnages considérés dans la haute société germanique. Alors ? Qu'auriez-vous fait à ma place ? - questionne Hanna à l'avocat général qui la charge. Obéir à son patron, c'est tout ce que savait faire cette pauvre fille. Parce que l'emploie qu'elle exerçait lui permettait de s'assumer matériellement et qu'il ne l'obligeait pas à révéler la honte qui la minait : son inculture. Pourquoi n'avez-vous pas déverrouillé la porte de l'église quand celle-ci a pris feu après l'impact de la foudre, alors que vous saviez que 300 femmes, que vous conduisiez dans un autre camp, s'y trouvaient enfermées ? - hurle le magistrat. La réponse d'Hanna laisse sans voix, tant il est vrai - comme le dit le professeur à son élève Michaël - qu'aucune société ne s'est fondée sur la moralité. J'étais chargée de les garder -bredouillera l'accusée. Et si j'avais ouvert la porte, elles se seraient enfuies. Réponse logique à un ordre qui, en l'occurrence, ne l'était pas.
 

Après les scènes de la romance quelque peu languissantes du début, le film prend de la densité à partir du procès d'Hanna et le face à face qui s'instaure entre les représentants de l'ordre et du droit et ces femmes qui, dans des conditions tragiques, n'ont pas manifesté le moindre sentiment de compassion et que la notion de bien et de mal ne parait pas interpeller. Hanna, comme les autres, semble détachée de toute attraction possible entre ces deux pôles, pour la seule raison qu'elle ne se situe nulle part d'une quelconque perspective morale. Et ce " nulle part" est terrifiant. Où est donc passée sa part irrévocable d'humanité ? Car aussi révoltant que cela soit, une part d'humain reste présent  dans l'inhumain. Hanna, au-delà du bien et du mal, reste une femme qui a  aimé, pleuré, souffert, craint, dissimulé. Désormais Michaël va tout tenter pour restaurer loin d'elle, avec ou malgré elle, cette part d'humanité perdue. Grâce à la lecture, qui avait été leur loisir favori du temps de leur liaison heureuse, il va trouver un exutoire à leur solitude, à leur enfermement respectif, à leur claustration intérieure et amorcer ainsi une fragile et hypothétique rédemption. Rédemption pour l'Allemagne qui essaie de se reconstruire et dont Michaël, devenu avocat, doit assumer sa part de responsabilité ; rédemption également pour Hanna qui, en écoutant les cassettes d'enregistrement qu'il lui adresse en prison, apprend à lire et, par voie de conséquence, à se construire.

 

Je ne dévoilerai pas la fin qui réserve quelques grands moments de cinéma, sans être totalement exempt d'emphase émotionnelle, afin de laisser à chaque spectateur la liberté de formuler ses propres interrogations. Bien entendu si le film soulève bon nombre de questions, il ne les résout pas et ne propose pas de solution. Et comment le pourrait-il ? Si bien que l'on sort de la projection plus embarrassé ou troublé que réellement ému. A la suite du roman de Bernhard Schlink " Le lecteur ", le cinéaste nous invite à une remise en question des faits, non pour les excuser ou les restreindre, mais en les portant à notre connaissance sous un autre éclairage. Est-ce que les victimes de cette horrible tragédie ne sont pas, en définitive, les bourreaux ? Car si les victimes ont porté la douleur jusqu'à l'incandescence, les bourreaux ont plongé l'ignominie jusqu'en ses abîmes les plus sombres. Admirablement interprétée par Kate Winslet, Hanna Schmitz nous glace et nous touche par son inconscience et le poids de son inculture qui en font la proie de tous les égarements ; elle est tout simplement formidable et a bien mérité l'Oscar qui lui fût attribué pour ce rôle avec, face à elle, tour à tour,  David Kross  dans celui de Michaël adolescent, vivant sa passion avec une ferveur touchante, et Ralph Fiennes  en Michaël adulte, tout en détresse poignante. Un film qui va peser lourd dans le bilan cinématographique 2009.


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THE READER de STEPHEN DALDRY
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9 juillet 2009 4 09 /07 /juillet /2009 09:49
DIVORCE A L'ITALIENNE de PIETRO GERMI


Divorce à l'italienne  de  Pietro Germi  date de 1961 et fut le premier film à recevoir l'appellation qui devint, à la suite de quelques chefs-d'oeuvre, un label de qualité de  "comédie italienne", genre qui devait faire fureur de 1960 à 1970. L'histoire est simple et somme toute cocasse : un noble sicilien, le comte Ferdinando Cefalu, souhaiterait se séparer de sa femme pour cause de mésentente, afin de convoler avec sa jeune cousine Angela, mais le divorce étant alors illégal en Italie, l'idée lui vient de pousser sa femme légitime dans les bras d'un autre, de tuer ensuite l'importun amant et de ne récolter, en définitive, pour crime dicté par la passion et l'honneur, qu'une peine légère et ensuite pour être libre d'épouser sa belle, qui sera encore assez jeune pour lui assurer une heureuse vieillesse. Ce cynisme désinvolte sera donc l'occasion d'une comédie hilarante, satire matinée d'humour noir, où l'extraordinaire comédien qu'était Marcello Mastroianni fait merveille, ajoutant à sa mauvaise foi cette faculté qu'il avait d'être un brin Jean de la lune et avec le mélange subtil, qu'il cultivait avec talent, d'élégance aristocratique et d'autodérision.


L'intrigue repose sur le passage à l'acte de ce petit noble appauvri d'un village sicilien et revisite, de façon originale, clichés et préjugés autour du mariage, afin de les mieux tourner en ridicule, nous rappelant cette belle époque d'un cinéma italien florissant et jubilatoire, tout à la fois drôle et frivole, où la farce n'est ni outrée, ni grossière, mais agréablement pimentée et burlesque, pointant du doigt les constantes hypocrisies du genre humain. On rit de bon coeur à la projection de ce scénario malicieux, d'autant que  les acteurs sont merveilleux : Marcello irrésistible, Stefania Sandrelli délicieuse et la Sicile époustouflante de beauté. 

 

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DIVORCE A L'ITALIENNE de PIETRO GERMI
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28 juin 2009 7 28 /06 /juin /2009 10:30
LE FANFARON de DINO RISI

      

Unique, exceptionnel : la vision, dans un noir et blanc sublime, des rues et des places de Rome désertes un 15 août des années 60 sous un cagnard d'enfer ! Rien que pour cela le film vaudrait déjà le détour.

 

Bruno Cortona (Gassman), hâbleur, bavard, enjôleur, rôde dans sa décapotable dont l'insupportable klaxon signe à lui seul le macho de la première heure, à la recherche de cigarettes et d'un téléphone. Ce type-là ne supporte ni le silence ni la solitude. Coup de bol, son contraire est en train de réviser ses examens de droit administratif, Roberto Mariani (Trintignant), timide, silencieux, incapable de rien refuser à qui sait s'imposer, va se laisser subjuguer, à contre coeur d'abord, partagé constamment entre fascination et répulsion, par ce trublion détraqué, et se retrouver à bord de la Lancia Aurélia (symbole à elle toute seule de l'Italie du miracle économique ) pour une drôle de virée entre mecs, au gré des rencontres et des pulsions de Cortona, tandis qu'on devine peu à peu les fêlures de ce fort en gueule terriblement séduisant mais fragile sous ses airs de matamore. Alors que l'on pouvait craindre des personnages caricaturaux et une comédie un peu lourde, le talent opère et on se laisse, à notre tour, happer par l'émotion qui perce sous une drôlerie matinée de tragédie et de détresse humaine. Les femmes (son ex-épouse, sa fille) sont magnifiques, pleines d'indulgence envers ce frimeur dont elles n'ignorent aucune faille.

 

Ce sera, en quelque sorte, un voyage initiatique pour Mariani, qui va peu à peu se laisser emporter par la vitalité animale de Cortona, jusqu'à parvenir à une sorte de pulsion libératrice où il s'exprime enfin et qui coïncidera avec le point final qui est, hélas ! dramatique, la folie jubilatoire ayant ses limites.



Entre inquiétude et tendresse, la vision de la société est d'une richesse extraordinaire, et les personnages à eux seuls expriment l'évolution de l'Italie au moment même où elle sort de son rêve de prospérité. Néanmoins, malgré le talent de son réalisateur Dino Risi, la virtuosité de sa caméra qui imprime au film une dynamique irrésistible, Le Fanfaron ne serait pas ce qu'il est sans le jeu de deux acteurs en tous points remarquables : tout d'abord Vittorio Gassman étincelant de verve, d'insolence en crâneur impudent, en bravache insupportable, en flambeur et beau gosse mal élevé et incontrôlable, face à un Jean-Louis Trintignant inhibé, maladroit, coincé, qui ne cesse de se répéter intérieurement qu'il a à faire à un fou,  sans parvenir à se libérer de l'importun. Le duo qu'ils forment est d'une gaieté bruyante et le rythme ne se relâche pas un instant, nous conduisant immanquablement à une conclusion tragique. Tout cela mené de main de maître dans une folle embardée et une dérision de chaque instant. Un petit chef-d'oeuvre à voir ou revoir tant il sonne juste.



Pour lire les articles consacrés à Dino Risi, à Vittorio Gassman et à Jean-Louis Trintignant, cliquer sur leurs titres  :   
 

 DINO RISI       VITTORIO GASSMAN        JEAN-LOUIS TRINTIGNANT



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  • Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE
  • Auteur de treize ouvrages, passionnée par les arts en général, aime écrire et voyager.
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Un blog qui privilégie l'image sans renoncer à la plume car :

 

LES IMAGES, nous les aimons pour elles-mêmes. Alors que les mots racontent, les images montrent, désignent, parfois exhibent, plus sérieusement révèlent. Il arrive qu'elles ne se fixent que sur la rétine ou ne se déploient que dans l'imaginaire. Mais qu'elles viennent d'ici ou d'ailleurs, elles ont l'art de  nous surprendre et de nous dérouter.
La raison en est qu'elles sont tour à tour réelles, virtuelles, en miroir, floues, brouillées, dessinées, gravées, peintes, projetées, fidèles, mensongères, magiciennes.
Comme les mots, elles savent s'effacer, s'estomper, disparaître, ré-apparaître, répliques probables de ce qui est, visions idéales auxquelles nous aspirons.
Erotiques, fantastiques, oniriques, elles n'oublient ni de nous déconcerter, ni de nous subjuguer. Ne sont-elles pas autant de mondes à concevoir, autant de rêves à initier ?

 

"Je crois au pouvoir du rire et des larmes comme contrepoison de la haine et de la terreur. Les bons films constituent un langage international, ils répondent au besoin qu'ont les hommes d'humour, de pitié, de compréhension."


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