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9 juillet 2007 1 09 /07 /juillet /2007 15:26
VAN GOGH de MAURICE PIALAT

                        

Maurice Pialat, né en 1925, rêvait depuis de longues années de tourner une vie de Vincent Van Gogh, ce qui avait été fait bien des fois avant lui, mais d'une façon qui ne semblait pas correspondre à la vision personnelle qu'il avait du peintre. Ancien élève des Arts décoratifs, peintre à ses heures (c'est sa main qui double celle de Jacques Dutronc dans le film), Pialat réalise enfin son projet en 1991, en adoptant la voie qui lui sied le mieux : celle du dépouillement et de la rigueur, à l'égard d'un personnage qui disait " chercher quelque chose de paisible et de plaisant, réaliste et pourtant peint avec émotion, quelque chose de bref, de synthétique, de simplifié et de concentré, consolant comme une musique". 

 

Le cinéaste relate dans son film les derniers jours de Van Gogh à Auvers-sur-Oise, où il est recueilli par le docteur Paul Gachet, à qui l'a recommandé son frère Théo. Il a alors 37 ans et mène une existence misérable qui a durement endommagé sa santé. Son tempérament ardent l'a toujours entraîné à fréquenter les prostituées, à boire plus qu'il ne faudrait en compagnie de pochards, à tenir tête à son frère, si dévoué et admirable, au seul prétexte qu'il était trop bourgeois à son gré. Il va même trouver le moyen d'embarquer dans cette débauche la fille de son hôte, la jeune et jolie Marguerite (Alexandra London). Mais malgré son goût des filles, de la boisson, cet être en perdition n'a qu'une seule vraie passion : la peinture. Il s'y consume dans la lumière  poudrée de l'Ile-de-France, jusqu'à ce qu'un jour de juillet 1890, au comble du désespoir, il se tire une balle dans le ventre.



Pour le centième anniversaire de cette mort tragique, on comprend qu'un cinéaste comme Pialat ait eu envie, en 1990, de nous redire l'homme plus encore que le génie dans ses doutes et sa misère, ceux d'un créateur pris au piège de sa création, d'un amoureux de la lumière aux prises avec ses ténèbres intérieures et d'un pragmatique en peine de son rêve. Car, certes, Van Gogh, vu par Pialat, n'est guère conforme à sa légende. Refusant l'hagiographie, le réalisateur opte pour le portrait d'un artiste à la dérive, d'une tête brûlée qui n'est pas sans similitude avec lui-même. Le peintre refoulé, qu'il est, se retrouve volontiers en cet homme qui croit davantage en la peinture qu'en son talent, qui ne cesse de se heurter aux obligations de la vie, qui ne s'aime pas davantage qu'il n'aime les autres et semble résumer en son seul destin les ambiguïtés et les tragédies de tout créateur. Si bien qu'à travers ce film, Pialat se raconte un peu. N'est-il pas comme son héros un marginal, un révolté, un incompris? Ce qui le captive au premier chef, "est l'éternel combat entre la force de la vie, irruptive, désordonnée, incontrôlable, et la tentation du doute, de l'abandon, de la déchéance" - écrira Serge Toubiana à propos de ce Van Gogh de Pialat. Convergence de vue frappante, si l'on se souvient de la conception du 7e Art que Pialat résumait ainsi : "  Il n'y a de réalisme que celui du moment où l'on tourne. Il faut s'approcher le plus près possible de la vérité de l'instant, faite de sentiments très simples. Pour moi, c'est cela la musique d'un film". Ce qui fait l'intérêt particulier de ce long métrage est qu'il ne se contente pas d'être une évocation plus ou moins exacte de la vie du peintre, mais se présente comme une interprétation, par un artiste, du mystère qui entoure la création d'un autre artiste dont il se sent proche à maints égards.

 

Heureusement quelques scènes réjouissantes viennent égayer cette oeuvre sombre et bouleversante, marquée du sceau de la fatalité - par exemple, l'imitation hilarante de Lautrec par Van Gogh, ou une flânerie dans une guinguette au bord de l'Oise, ou encore un quadrille dans un beuglant. Cette leçon des ténèbres vous prend à la gorge, d'autant que le choix de l'acteur-chanteur Jacques Dutronc pour tenir le rôle de Van Gogh se révèle particulièrement judicieuse. Ce dernier donne au peintre maudit une force, une vérité à couper le souffle. Il est Vincent comme aucun autre acteur ne l'avait été avant lui, le visage creusé, l'air hagard, puis éclatant brusquement dans une gaieté enfantine qui exprime tellement bien, tour à tour, sa part de robustesse et sa part de fragilité ; Pialat nous redessinant de sa caméra-pinceau le visage tourmenté de l'artiste, au point que son image nous hante bien des heures après la projection. Un film dur, âpre, comme le cinéaste les aimait, un film qui laisse longtemps une trace dans la mémoire.

 


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VAN GOGH de MAURICE PIALAT
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4 juillet 2007 3 04 /07 /juillet /2007 11:20
TOUS LES MATINS DU MONDE d'ALAIN CORNEAU

                                                                                                                   

Marin Marais, compositeur en vogue à la cour de Louis XIV, se souvient de son vieux maître, Monsieur de Sainte Colombe virtuose de la viole de gambe, auquel il doit sa science de l'archet. Soucieux de perfection jusqu'à tout lui sacrifier, Sainte Colombe a mené une existence ascétique et élevé ses deux filles, surtout après la disparition de leur mère, selon des préceptes sévères. Dans ce film Tous les matins du monde, tiré du roman éponyme de Pascal Quignard, le cinéaste nous raconte la vie de ce dernier qui, retiré du monde,  ne semble plus trouver de consolation que dans la musique. A cette fin, il s'isole dans une cabane forestière afin de s'adonner au plaisir de la composition et joue des heures durant, éconduisant les importuns qui risqueraient de troubler sa sombre rêverie. Marin Marais sera le seul à parvenir à cette prouesse : franchir le seuil de la cabane et se faire accepter, allant même jusqu'à séduire l'une des deux filles, Madeleine (Anne Brochet), qui deviendra sa maîtresse, de façon à percer plus complètement les secrets de la science instrumentale de l'ermite. Puis il s'en retournera à Versailles connaître le succès, abandonnant sa jeune amante, qui se suicidera de désespoir. C'est alors que, frappé à son tour par le chagrin, comme l'avait été son vieux maître par la mort de sa femme, il parviendra à tirer de son archet les notes en mesure de le faite accéder à la notoriété.

 

         VIOLE

 

Le choix fait par Alain Corneau d'une fiction historique retraçant les parcours très différents, voire opposés, de deux compositeurs du XVIIe siècle avait de quoi étonner. Comment ce spécialiste du film noir allait-il s'y prendre pour évoquer l'art de la viole à l'époque de Lully et de Couperin et, ce, dans une forme volontairement sobre, à l'encontre de son style habituel ? Gageure superbement tenue par cet amateur de musique qui n'a nullement reculé devant les difficultés et réalisé un film d'une mélancolique beauté, riche en clairs obscurs qui ne sont pas sans rappeler les toiles de l'école flamande.



Selon Corneau, la musique baroque, par son rejet du sentimentalisme, sa liberté de composition, sa parenté avec l'éthique janséniste, témoigne d'une inventivité et d'une profondeur qui valaient bien ce détour. La présence de la musique donne son unité à l'oeuvre : elle est la pierre angulaire sur laquelle elle s'édifie et elle est l'âme du film. Rien à voir avec le foisonnement romanesque de l'Amadeus de Milos Forman ; nous sommes là dans un dépouillement plus proche d'un Jean-Marie Straub ou d'un Carl Dreyer. S'y ajoute l'ambiguïté des rapports d'un vieux misanthrope puritain (admirablement interprété par Jean-Pierre Marielle) et de son turbulent épigone. Ce dernier a pris les traits de Guillaume Depardieu, qui possède, semble-t-il, un vrai tempérament d'acteur et exprime clairement le fossé creusé par les générations, dont l'une est encore  tournée vers le passé et l'autre impétueusement orientée vers une modernité qui annonce le siècle des Lumières. 



Le récit est scandé par la voix off de Gérard Depardieu, sensé être Marin Marais en son âge mûr, précédant les images qui illustrent les évocations successives de la vie de Sainte Colombe. Le jeu de ces deux musiciens est également très dissemblable. Alors que celui du vieux maître est douloureux, émouvant, noyé de larmes, celui du jeune homme est rapide, enjoué, étincelant, comme s'il quêtait l'approbation d'un auditoire qu'il entendait tenir sous son charme. Il est vrai que pour le benjamin, l'instrument n'est autre que le moyen d'obtenir une revanche sur le sort qui lui a fait perdre sa voix de baryton et que pour le grand aîné, elle est une consolation aux épreuves de la vie, un apaisement aux douleurs engendrées par l'absente ... Par ailleurs, le film sait dissocier l'immobilisme du maître aux mouvements et à l'animation constante et parfois brouillonne du disciple ; de même qu'il oppose l'austérité des vêtements de l'un à l'éblouissant chatoiement de ceux de l'autre. Tout est dit dans ces infimes détails qui composent une atmosphère propice au déroulement lent et grave du film : approche de la genèse de la musique, des affres de la composition et du génie des artiste aux prises avec eux-mêmes.  Tel Orphée, ne font-ils pas renaître, à l'aurore de chaque nouveau matin du monde, ce qui ne s'était que momentanément enseveli dans la nuit : les amours perdus, les oeuvres inachevées.

 

Pour lire l'article consacré à Alain Corneau, cliquer sur son titre :   ALAIN CORNEAU

 

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TOUS LES MATINS DU MONDE d'ALAIN CORNEAU
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23 juin 2007 6 23 /06 /juin /2007 08:41
LADY CHATTERLEY de PASCALE FERRAN

                      
Je n'avais pas vu la version cinématographique couronnée par le César du Meilleur film en février 2007, ainsi que celui de la meilleure interprétation féminine pour la charmante et lumineuse Marina Hands, aussi ce fut une vraie découverte d'assister, sur Arte, à la projection de la version télévisée plus longue de cette Lady Chatterley et l'homme des bois en deux épisodes de 1h40 chacun.  C'est bien entendu la même histoire, mais plus ample, plus détaillée, plus fidèle aussi au roman que David Herbert Lawrence rédigea en 1927, moins de trois ans avant sa mort. Par ailleurs, cette version longue nous permet d'entrer davantage dans les méandres de la pensée de Constance Chatterley et d'assister plus intimement à sa métamorphose. Car c'est de cela qu'il s'agit : la lente transformation d'une jeune lady anglaise qui avait  cru bon de renoncer à la vie parce que sa condition sociale l'exigeait et qu'elle n'avait pas encore trouvé l'occasion capable de lui inspirer l'impulsion salvatrice. L'événement déclencheur sera sa rencontre avec le garde-chasse du domaine de son époux.

                        

Je dirai tout d'abord que ce film se singularise par sa  féminité et que c'est l'expression même de celle-ci, dans ses délicatesses et ses nuances subtiles, qui m'a touchée. Si ce n'est pas le chef-d'oeuvre que l'on a proclamé ici et là, ce n'est pas non plus le navet que quelques-uns se sont plus à caricaturer outrageusement. Non, nous assistons là à un long métrage qui prouve, si besoin était, la maîtrise, le sens du rythme, de la direction d'acteurs et de la mise en scène de son auteur. Excessivement soigné, peut-être trop au goût de certains, il se déroule avec une lenteur calculée qui allie la fraîcheur et la solennité, sans une once de vulgarité, et bénéficie de l'interprétation empreinte de charme et de grâce de Marina Hands, qui sait rendre pleinement crédible son apprentissage de l'amour. Fête des sens, il mêle complicité et tendresse, sensualité et passion ; ode à la vie d'une jeune femme frustrée par l'infirmité de son mari, il s'accompagne d'une célébration lyrique des beautés de la nature. L'une des scènes les plus réussies n'est-elle pas celle où les amants nus courent et se poursuivent sous la pluie dans le parc de Wragby ?
                        


Pascale Ferran, fidèle à l'esprit du livre, a fait de son garde-chasse un homme plus tendre que rustre, sinon l'attachement prolongé de la jeune aristocrate aurait pu paraître incompréhensible, bien que cela ait été au départ le souci initial de l'auteur. Ce qui la lie à son amant est, au-delà du plaisir sensuel, celui d'une proximité immédiate dans l'ordre de la sensibilité. Tous deux sont d'autant plus proches qu'ils partagent le goût des choses simples, naturelles, authentiques. S'il y a des naïvetés et si la fin est décevante, les presque trois heures de la version télévisée ne m'ont pas semblé fastidieuses, car il y a dans cette projection une fluidité, une harmonie, une volupté auxquelles il est difficile de résister. La plus grande faiblesse réside dans les concessions accordées par la cinéaste au discours social, abordé de façon simpliste et conventionnelle, comme si Pascale Ferran voulait s'en sortir d'une pirouette et se donner ainsi bonne conscience à propos d'un sujet périlleux. En définitive, le personnage du mari infirme, homme sans corps et sans vie charnelle, campé remarquablement par Hippolyte Girardot m'est apparu davantage comme une victime qui n'a guère que son statut social pour tenter d'exister face à une jeune épouse qu'il aime et qui, irrémédiablement, lui échappe. Les critiques ont passé un peu vite sur le rôle de cet homme figé dans sa douleur plus que dans son arrogance, dans son orgueil blessé plus que dans son mépris. C'est peut-être là que s'exprime le mieux le génie féminin de l'auteur qui parvient à doser avec légèreté et justesse la part toujours fluctuante des sentiments.

                       

Quant au jeu des deux principaux personnages, il mérite d'être souligné. Marina Hands est simplement délicieuse de naturel, de spontanéité, de force et de naïveté touchante face à Jean-Louis Coulloc'h qui parvient très bien par ses silences à nous suggérer ses doutes, ses appréhensions, ses joies. Plus qu'elle, il est conscient de l'abîme qui les sépare et conserve sa dignité malgré la passion qui le submerge. Le film doit beaucoup à ce casting réussi.

 

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LADY CHATTERLEY de PASCALE FERRAN
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20 juin 2007 3 20 /06 /juin /2007 09:43
LA BELLE NOISEUSE de JACQUES RIVETTE

                         
Jacques Rivette est l'homme des défis : entre autres défis, ceux de la dramaturgie et des codes traditionnels de l'écran. Chacun de ses films se présente comme une énigme à déchiffrer, dont il n'est pas sûr que lui-même en détienne la clef. On dirait que le cinéaste se plaise à épier les signes, à mettre en route des choses et des événements qu'il ne maîtrise pas forcément, mais dont le déroulement, quand bien même qu'il le déborde, excite son imagination. Aussi ne peut-on rêver création plus ouverte, plus ludique, plus expérimentale. La Belle Noiseuse (1990) ne déroge pas à la règle des films qui la précédèrent ; la version intégrale était de 4 heures, comme L'amour fou de 4h12 ou Céline et Julie de 3h10. Mais Rivette envisagea un traitement allégé qui la réduisit à 2 heures et, par la même occasion, la priva d'une grande part de son intérêt. L'intrigue se place sous le patronage du Chef-d'oeuvre inconnu de Balzac, l'écrivain préféré de Rivette vers lequel il se plait à revenir, tout récemment encore avec Ne touchez pas la hache. Elle illustre parfaitement le propos du vieux peintre à son épigone : " La beauté est une chose sévère et difficile qui ne se laisse point aisément atteindre ; il faut attendre des heures, la presser et l'enlacer étroitement pour la forcer à se rendre... Ce n'est qu'après de longs combats qu'on peut la contraindre à se montrer sous son véritable aspect". Ainsi procède le peintre Frenhofer (admirablement interprété par Michel Piccoli), cloîtré dans son atelier, pareil à une forteresse, pressant son jeune et beau modèle, nu et soumis, à livrer le mystère de sa torturante séduction. Le public assiste fasciné à cette ascèse esthétique qui ne se prive pas d'exigence et n'est pas moins dénuée de tyrannie.

                                                  

Dans le midi de la France, le peintre Frenhofer s'est retiré avec sa femme Liz (Jane Birkin), qui fut longtemps son inspiratrice. Arrive Porbus (Gilles Arbona), un amateur d'art, en compagnie d'un jeune peintre Nicolas et de sa compagne Marianne (Emmanuelle Béart). Depuis 10 ans, Frenhofer avoue à Porbus qu'il n'a plus touché un pinceau, laissant inachevée La belle Noiseuse, un portrait de sa femme, tableau qui devait être tout ensemble son dernier ouvrage et son chef-d'oeuvre. Porbus l'encourage à reprendre ce travail avec pour modèle la jeune et belle Marianne. Cinq journées de pause harassantes seront nécessaires pour concrétiser le projet que vont vivre avec difficulté les deux couples, dans un climat de tensions et de jalousies. Alors que le vieux ménage se ressoudera dans l'épreuve, le jeune s'y consumera et le tableau, remisé à l'écart, conservera son secret.
 


La main d'un peintre de métier se substitue à celle de l'acteur dans les plans rapprochés. Il s'agit de celle de Bernard Dufour qui a exposé au Centre Pompidou et à la Biennale de Venise. Pour autant sa technique de composition picturale ne saurait constituer le motif principal du film. Rien à voir avec Clouzot traquant le geste de Picasso dans Le mystère Picasso (1956), pas davantage avec Pialat montrant Van Gogh à son chevalet. Rivette envisage le travail d'un peintre anonyme comme pur et simple prolongement de son itinéraire de cinéaste et le processus utilisé nous renvoie inlassablement à ses propres méthodes de tournage. La recherche présumée d'une forme sur la toile est symétrique de la sienne sur l'écran et c'est véritablement là que réside l'attrait essentiel du film. Ce qu'il raconte, par ailleurs, est l'histoire d'un couple d'âge mûr qui sent la jeunesse lui échapper pendant qu'un autre couple, pas assez mûr, se défait sous ses yeux. A l'expérience de l'un s'oppose l'immaturité de l'autre et toujours l'impossibilité d'aboutir à l'harmonie et la plénitude. C'est donc à une leçon sur les possessions impossibles que le cinéaste nous convie, prenant soin de ne point offrir une quelconque conclusion à son film, à ne rien clore et à laisser place à la réflexion sur la création toujours en train de se créer. Rien n'aboutit, tout reste en suspens, en état d'accomplissement permanent. De même que l'amoureux se trompe en croyant posséder celle qui est l'objet de son amour, que le peintre s'illusionne lorsqu'il croît s'emparer des secrets intimes de son modèle, l'artiste se fourvoie en pensant qu'il a terminé l'oeuvre de sa vie. Passionnant document sur le travail de réalisateur et tentative intelligente et originale qui illustre l'axiome que Rivette, lorsqu'il était critique aux Cahiers du cinéma, avait posé au sujet de la vocation de celui-ci à se faire l'élément constitutif de son propre tournage. Il y réussit avec ce film exemplaire qui permet à la caméra de capter les liens invisibles que les êtres parviennent à tisser entre eux, sans jamais atteindre une solution satisfaisante, puisque l'on sait que le travail de Rivette n'a d'autre but que de nous décrire, par le menu, l'élaboration des actes et la gestation des oeuvres.

 

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LA BELLE NOISEUSE de JACQUES RIVETTE
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16 juin 2007 6 16 /06 /juin /2007 08:40

                                                                                                  

En 1327, alors que la chrétienté est divisée entre l'autorité papale de Jean XXII et celle de l'empereur Louis IV du Saint-Empire, le moine franciscain Guillaume de Baskerville et le novice Adso von Melk enquêtent sur des morts suspectes qui ont eu lieu dans une abbaye bénédictine. Malgré les silences de l'abbé et du vénérable Jorge, Guillaume pressent que la clé du mystère se trouve dans la bibliothèque. Un inquisiteur, accouru pour remettre de l'ordre dans ce monastère, qui semble en proie à l'hérésie, condamne au bûcher deux moines et la jeune paysanne qui se prête volontiers à assouvir les désirs les moins purs des ressortissants. Finalement Guillaume parvient à résoudre l'énigme. C'est Jorge, en empoisonnant les pages d'un livre sacré et interdit, qui a entraîné la mort de moines trop curieux. A l'opposé des mises en scène fastueuses des productions hollywoodiennes ou des aventures exotiques, Jean-Jacques Annaud a préféré, pour ce film cosmopolite,  le huit-clos d'un monastère perdu dans les terres désertes de l'Italie septentrionale et le spectacle d'idées au spectacle tout court. L'environnement âpre et sauvage sert de toile de fond aux génériques du début et de la fin ; son immensité se prête à évoquer un ailleurs dont la découverte est l'un des thèmes du film. Mais l'essentiel se déroule à l'intérieur même de l'abbaye, dans les salles communes, la chapelle, la bibliothèque, le réfectoire et les étroites cellules des moines. Là, plongée dans un clair-obscur savamment dosé, la vie ne conserve pas moins une intensité que le confinement rend encore plus inquiétante ; les cloîtrés réprimant leurs désirs ou les assouvissant honteusement et partageant leur temps entre l'étude et la prière.

 

Rien apparemment ne saurait précipiter le cours tranquille de ces existences, sinon l'irruption de l'étranger indésirable et, de surcroît, hérétique. Situé au coeur d'une période mouvementée, le film se développe sur un rythme de plus en plus soutenu avec pour objectif le combat des hommes contre l'obscurantisme et l'opposition entre raison et surnaturel . C'est, par ailleurs, un plaidoyer en faveur de la liberté de conscience. Si la plupart des moines sont considérés comme des illuminés et des hypocrites, les personnages interprétés par Sean Connery et Christian Slater semblent s'interroger réellement sur le mystère de la foi et de l'amour de Dieu. Sans effets spéciaux, ni déploiement de foule, aux antipodes du bruit et de la fureur, Le Nom de la rose a suscité l'engouement du public lors de sa sortie en 1986 et bénéficié d'un succès international. Or si le film apparait aussi spectaculaire que ceux des maîtres américains, n'est-ce pas simplement parce que le cinéaste a choisi de prendre le contre-pied des règles et artifices du genre ? Il n'a point tenté d'adapter le roman philosophique de l'écrivain italien Umberto Eco, mais en a réalisé un palimpseste. C'est ainsi - expliquait-il à l'époque - qu'on appelle les vieux parchemins qui ont été grattés pour pouvoir être réutilisés, mais sous lesquels apparaissent, par fragments, les textes d'époque. Donc le livre va sûrement transparaître dans le film, mais j'ai voulu filmer ma vision de ce livre qui peut être lu à plusieurs niveaux. Et Eco, qui l'a très bien compris, m'y a d'ailleurs encouragé".

 

Ainsi, en imposant à son récit, à sa dramaturgie et aux personnages de se plier aux impératifs du réalisme, Annaud est-il parvenu à imposer une vérité historique et un climat qui permettent d'adhérer pleinement à cette aventure humaine hors du commun, aventure qui explore d'autres horizons que ceux de l'imagination pure et aborde avec pertinence l'histoire et son héritage, le savoir et sa transmission, la religion et son pouvoir, l'homme et sa dualité esprit/matière. Ainsi les horizons infinis de la pensée et du destin d'une civilisation élargissent-ils la fiction policière et moyenâgeuse de l'intrigue aux dimensions d'une fresque métaphysique. Avec cette oeuvre réussie et passionnante, Annaud s'est imposé comme le précurseur d'un cinéma européen ambitieux qui ose s'attaquer à des sujets difficiles sans rien perdre de son attraction populaire. Un défi gagné et un long métrage devenu un classique. Et l'une des plus belles prestations de l'acteur Sean Connery.

 

 

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6 juin 2007 3 06 /06 /juin /2007 09:17
Mon oncle de Jacques Tati

 

"Mon Oncle" de Jacques Tati fut tourné en couleur en 1958. Hulot habite alors une maison tarabiscotée dans la banlieue parisienne en pleine rénovation, envahie de grues et de pelleteuses, dans un bruit assourdissant. Célibataire, il est très attaché à son neveu qui demeure avec ses parents dans une coquette villa d'un quartier résidentiel pourvue des derniers équipements et gadgets à la mode. Hulot vient souvent lui rendre visite et l'emmène se promener et se distraire. Il en profite pour lui faire découvrir un monde inhabituel, celui des terrains vagues, des jeux, où entre une grande part d'imagination. Pour l'enfant, c'est la soudaine découverte d'un univers surprenant où l'on s'accorde quelques privautés et d'où l'on revient les mains sales et les genoux écorchés, au grand dam des adultes.

 

En 1958, la France est à l'orée de ce que l'on appellera la société de consommation. Aussi, pour créer un habitat conforme aux normes exigées par la vie moderne, commence-t-on à raser les immeubles insalubres. "Mon oncle" a été tourné à Saint-Maur et son comique naît principalement du contraste entre le quartier huppé des nouveaux riches et celui des quartiers anciens, faits de bric et de broc, mais qui ont conservé leur chaleur villageoise. L'utilisation remarquable des sons, du langage, des gags empruntés à la réalité la plus immédiate font de ce film un chef-d'oeuvre où se tissent étroitement satire du présent et nostalgie du passé. Le cinéaste défendait ainsi une certaine idée du bonheur paisible, fondé sur des relations humaines harmonieuses et faisait, pour nous en convaincre, l'apologie d'un univers accordé au rythme naturel du pas de l'homme.

 

Pour prendre connaissance de l'article que j'ai consacré à l'oeuvre de Jacques Tati, cliquer sur son titre :

 

 

JACQUES TATI OU LE BURLESQUE REVISITE 

 

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Mon oncle de Jacques Tati
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2 juin 2007 6 02 /06 /juin /2007 08:26
LE GRAND BLEU de LUC BESSON

                              

En un quart de siècle, l'art et l'industrie du film ont considérablement évolué ; la meilleure part revenant aux grosses productions qui savent séduire le public par un langage visuel simplifié à l'extrême, qui sacrifie la signification à l'effet, l'expression esthétique à l'image factice. Dans le même temps, le statut des auteurs s'est affermi, les oeuvres de recherche ont proliféré et, ce, au-delà de ce qu'avaient pu rêver les premiers adeptes de la caméra-stylo. Il nous faut donc tenir compte, lors d'une série d'articles sur la production cinématographique couvrant une ou plusieurs décennies, de cette double et paradoxale évolution, en incluant auprès des chefs-d'oeuvre, des produits de plus grande consommation, ce qu'il est convenu d'appeler des films-cultes, sur lesquels nous nous devons d'émettre les réserves qui s'imposent. Cela est justement le cas pour Le grand bleu (1988), un film qui sut ensorceler une jeunesse et transformer le spectateur en dauphin, le plongeant dans un monde de rêve et de bonheur d'où il ne voudrait jamais plus revenir. Rêve, bonheur, poésie, innocence, évasion, ne sont-ils pas l'apanage de cette réalisation parfaitement réussie sur le plan esthétique et qui rend le rôle du détracteur d'autant plus malaisé et ingrat ?

 


Oubliez tout ce que vous savez.. Plongez ! conseillait le metteur en scène Luc Besson. Or, c'est justement ce que refusait ceux qui répugnaient à s'anéantir comme le faisaient à l'écran Enzo et Jacques. Ces deux copains partageaient la même passion pour la plongée sous-marine et, à l'occasion d'un championnat du monde, se retrouvaient à Taormina en Sicile, bientôt rejoints par Johana, une jeune américaine follement éprise de Jacques. Ce dernier paraissait lui rendre son amour mais, en réalité, n'aspirait qu'à une chose : plonger et se mesurer, lors des compétitions, à son concurrent Enzo. Un jour, celui-ci descendit trop profond et mourut dans les bras de son ami qui, au lieu de remonter son cadavre dans le monde des hommes, préféra le confier au silence des profondeurs, avant d'aller le rejoindre peu de temps après, sourd à l'amour de Johana enceinte.




Terrible histoire que celle de ces deux sportifs qui optent pour la mort plutôt que pour la vie, car de quoi s'agit-il sinon d'un anéantissement dont le réalisateur n'hésite pas à nous fournir la clé. Et quelle est-elle ? Je résume : puisque la vie ordinaire n'est pas à la mesure de l'héroïsme auquel aspirent les jeunes gens, épris l'un et l'autre d'idéal et de fraternité virile, et puisque la femme, selon eux, signifie l'assurance d'une existence stéréotypée qui, peu ou prou, les contraindra à la stabilité : foyer, enfants, maison, automobile et, par conséquent, à une existence castratrice, mieux vaut une mort désirée que cette vie mutilée. Si bien que l'on peut aborder le film sous l'angle d'une exaltation au dépassement de soi, ce que firent de nombreux jeunes spectateurs, qui adhérèrent d'autant plus facilement à cette intrigue, qu'elle fait la part belle à la fascination que le néant exerce sur eux. La beauté esthétique du film donne incontestablement de la mort une image sublimée : mort proclamée comme refus de la médiocrité, de l'ordinaire de la vie, et comme possibilité de s'octroyer un destin. En somme, proposer en échange d'une vie aseptisée et d'une désolante platitude, une mort exaltante. Le film provoqua la controverse que l'on imagine sans qu'elle fût toujours bien comprise, ce qui est regrettable, car, à la suite de cette projection, des adolescents fragiles pouvaient être enclins à se laisser prendre dans cette nasse  qui les entraînait irrémédiablement dans des profondeurs insondables. L'image fascinait, mais n'en était pas moins fausse ; on sait depuis Cousteau que les grands fonds océaniques sont, dans la réalité, ténébreux et inhospitaliers. On y devient sourd et aveugle et on s'y engloutit dans un univers pour le moins terrifiant. Si la plongée sous-marine est un sport enthousiasmant, il ne l'est que dans la mesure où chacun en envisage les risques et périls. Ce film eut donc, entre autre privilège, celui de faire couler beaucoup d'encre et de susciter des discussions sans fin. Aujourd'hui, il me vient à l'idée de le comparer à un film plus récent, qui a obtenu le prix de la mise en scène au Festival de Cannes : Le scaphandre et le papillon.  Alors que le premier est un chant funèbre bellement orchestré, le second est un hymne à la vie de la part d'un homme prisonnier d'un scaphandre, immergé dans les profondeurs douloureuses de la maladie mais, tellement épris de la beauté du monde, que d'un battement de paupière il parvient à faire de sa pensée et de ce qui lui reste de vie...un papillon. A la pesanteur de l'eau s'oppose l'air libérateur, au refus, l'acceptation, à l'abandon, la confiance. A méditer. 

 

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LE GRAND BLEU de LUC BESSON
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23 mai 2007 3 23 /05 /mai /2007 09:17
Les vacances de Mr Hulot de Jacques TATI

Les vacances ne sont pas faites pour s’amuser. Tout le monde le sait, sauf Monsieur Hulot qui, pipe en l’air et silhouette chaloupée, prend la vie comme elle vient, bouleversant scandaleusement, au volant de sa pétaradante voiture, la quiétude estivale des vacanciers qui s’installent avec leurs habitudes citadines dans cette station balnéaire de la côte atlantique. Hulot va, dès lors, promener dans l’ennui balnéaire le plaisir émerveillé de ses découvertes successives. D’un seul coup, l’ennui vole en éclats, tandis que les châteaux de sable s’ouvrent sur la belle au bois dormant et qu’aux cris des enfants, la petite plage  prend en permanence les couleurs d’un jour de fête. Mais voilà septembre. Monsieur Hulot, inconscient du climat facétieux qu’il a suscité durant cet entracte estival, rentre. Et où rentre-t-il ? Dans les nuages sans doute, dont il n’était, d’ailleurs, jamais sorti. Si bien que les enfants du pays, après qu’il ait disparu, interrogeront le ciel pendant longtemps. Fort du succès remporté par « Jour de fête », Jacques Tati , dans les années 1952, crée le personnage de Monsieur Hulot, autre silhouette dégingandée mais, cette fois, sans moustache, personnage qui pourrait être le cousin citadin du facteur François, figure qui deviendra familière avec son pantalon de toile blanche, son chapeau cabossé, ses chaussettes rayées et ses chaussures de tennis auxquelles s'ajoutera assez fréquemment une pipe. Monsieur Hulot est entré dans le paysage cinéphile à bord de sa voiture et n'en sortira plus. Dans ce second film  Les Vacances de monsieur Hulot (1953), on partage avec cet ami extravagant deux semaines de vacances sur une plage bretonne proche de Saint-Nazaire. Pendant plus d'une heure, nous allons le voir semer le trouble parmi la clientèle de l’hôtel, où il séjourne, par ses maladresses, ses fantaisies et ses manières d'hurluberlu. Une suite de gags qui provoque le rire du public. Tati a su saisir le rituel des vacanciers et les attitudes estivales de la classe moyenne à l'heure où notre société entre dans l'ère de la consommation de masse. De cette observation aiguë va naître une poésie du quotidien profondément intelligente, servie par une grande liberté d'écriture qui préfigure déjà ce que sera, quelques années plus tard, la Nouvelle Vague, soucieuse de filmer en temps réel et sur le vif le monde contemporain. Hulot, l'innocent, l'optimiste, le fantaisiste, l'incorrigible gaffeur affirme son individualité à l'égard d'une société dont le conformisme est décapé sans méchanceté par des situations burlesques inénarrables.

 

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Les vacances de Mr Hulot de Jacques TATI
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28 avril 2007 6 28 /04 /avril /2007 10:37
LES BRONZES de PATRICE LECONTE

   

Rien de plus éloigné d'India Song de Marguerite Duras que le film Les Bronzés (1978) de Patrice Leconte. Le premier se situe dans le cercle étroit du cinéma expérimental jugé parfois trop cérébral et ennuyeux, l'autre est un divertissement hilarant qui n'a pour ambition que de distraire et d'amuser, mais n'en reste pas moins une critique savoureuse et cruelle d'une tranche de la société de consommation des années 70. Pourquoi en parler ? Parce que ce film, et ceux qui suivirent, dont Les Bronzés font du ski, Le Père Noël est une ordure, furent des succès tels qu'ils méritent de retenir l'attention et parce que l'équipe du Splendid, cette troupe de joyeux drilles, qui avait fait ses classes auprès de Tsilla Chelton, imposa avec talent un cinéma proche de la formule café-théâtre, à base d'improvisations collectives et d'humour franchouillard.

                        

Le film réunissait l'équipe au complet, tandis que la réalisation était confiée à un transfuge de la bande dessinée, ayant travaillé au journal Pilote et déjà signataire d'une comédie grinçante qui révélait Coluche : Les vécés étaient fermés de l'intérieur (1975). La comédie m'a enseigné les constructions au millimètre... La publicité m'a appris l'économie du récit : en quarante-cinq secondes, il faut aller à l'essentiel . Ces propos du metteur en scène expliquaient sa réussite dans un genre mineur : minutieux réglage des gags, rapidité d'exécution, refus du comique de grimace à la de Funès au profit d'une franche gaieté à l'italienne. Autre originalité : le comique n'était plus l'affaire d'un seul à la façon d'un Buster Keaton ou d'un Jacques Tati, mais d'une troupe d'acteurs où chacun figurait un personnage bien ciblé de l'échantillonnage humain : le malchanceux, l'arriviste, le paumé, le dragueur, le parvenu, la snobinarde, l'écervelée... Le tout pimenté d'une bonne dose d'observation sociologique qui raillait le comportement du touriste moyen en mal de potion miracle contre la solitude et nous dévoilait un échiquier farfelu où les uns et les autres poussaient leur pion à l'aveuglette. Il en résultait un comique insolite, amer et pittoresque, que le cinéaste affinera par la suite dans des réalisations plus ambitieuses telles que Tandem (1986), Le mari de la coiffeuse (1990) et Le parfum d'Yvonne (1994).

                               

Avec Les Bronzés, Leconte et la troupe du Splendid se trouvaient en phase avec la réalité de l'époque, si bien que le film est un documentaire inénarrable de ce que fut alors l'homo vacancus, en même temps qu'une peinture réjouissante de quelques inclassables énergumènes ne parvenant à s'intégrer nulle part. Les gags s'enchaînaient avec brio et le rythme ne se relâchait à aucun moment. C'était un feu d'artifice de scènes mémorables menées à un train d'enfer par de jeunes acteurs talentueux qui, visiblement, s'amusaient autant que nous.  Il est vrai aussi que nous avions dans ces années-là un Président de la République qui se souciait beaucoup du bonheur des Français et que le club Med sut profiter à fond de cette formidable aubaine des séjours "clé en main" et dépaysants qui assuraient à ses gentils membres, grâce à la présence de ses gentils organisateurs, des semaines de rêve au long de plages bordées de cocotiers, où leurs loisirs, leur habitat, leur couvert, leurs flirts, leurs souhaits, leurs fantasmes étaient aimablement satisfaits. Ils n'avaient plus qu'à se laisser porter par cette vague euphorisante et se couler dans le moule que l'on proposait à leur psychisme stressé. Le sujet était trop beau pour ne pas être exploité avec toute la dérision requise et l'humour adéquate.

 

La production cinématographique des années 70/80, éclectique à souhait, manifestait ainsi sa bonne santé, puisqu'elle pouvait offrir des longs métrages aussi différents que Le chagrin et la pitié de Marcel Ophuls (1970), La maman et la putain de Jean Eustache (1973) et ces bronzés  qui recensaient les ridicules d'une société de consommation n'aspirant qu'à jouir, sans trop se poser de questions, des opportunités qui s'offraient à elle. Le film, sous ses dehors simplistes, était une charge impitoyable contre les dangers du décervelage qui guettait chacun de nous, pris que nous étions dans l'engrenage du plaisir à tout prix et de la satisfaction immédiate. Dans ce sens, Les Bronzés ont été salutaires. Les Français acceptèrent avec bonne humeur cette parodie d'eux-mêmes, mais nombreux furent ceux qui en tirèrent la leçon et organisèrent leurs vacances de manière plus personnelle. Le Club Med eut aussi à en pâtir et dut réviser ses formules de vacances en les déclinant  sur un mode plus raffiné, plus élaboré, ajoutant au potage quelques ingrédients soft.



En conclusion, ce film aura été un triomphe et se voit rediffusé presque chaque année sur une chaîne de télévision avec le même succès d'audience. C'est dire que la troupe et son cinéaste avaient visé juste. Les Français ont une qualité qu'il faut leur reconnaître : ils se plaisent à rire à leurs dépens. C'est bon signe. L'auto-critique est excellente pour la santé morale. Bien entendu, la tentation était grande de rééditer l'exploit. Il y eut, en effet l'année suivante Les Bronzés font du ski qui était encore de bonne facture, mais, hélas ! le dernier en date, ces bronzés number 3 fut un four total...Les miracles n'ont lieu qu'une fois.

 


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18 avril 2007 3 18 /04 /avril /2007 13:49
UNE HISTOIRE SIMPLE de CLAUDE SAUTET

                           

"Mes films ne sont pas déprimants et ne débouchent pas sur le désespoir. (...) J'essaie toujours de trouver dans les personnages que je décris cette vitalité biologique qui les amène à s'en sortir".  Comme Doillon,  Claude Sautet est le cinéaste de la vie des autres, de ces gens simples que l'on croise, rencontre, oublie. Il aime surprendre sur les visages les expressions familières, les regards fugitifs, les interrogations inquiètes. Dans la foule anonyme des grandes villes, son objectif semble isoler, par hasard, seuls ou en groupe, César et Rosalie (1972), Vincent, François, Paul et les autres (1974), Anna, Gabrielle, Marie ( Une histoire simple ), échantillons humains qui illustrent si bien les élans du coeur et les blessures de l'âme et nuancent à l'infini la perception des choses de la vie. Tel un sculpteur, Sautet travaille cette matière brute du réel, ces êtres dont il tente de saisir, d'approcher l'identité, de sonder les coeurs et les reins. Qui sont-ils ? Les maîtres de leur avenir ou les esclaves de mille contraintes ? Ainsi, au fil des bobines, le cinéaste brosse-t-il le tableau impressionniste d'une société qui, dix ans après mai 68, est en pleine mutation, destin particulier des individus inséparable de celui de la collectivité. Rien n'échappe à son oeil attentif et scrutateur : ni le spectacle de la rue colorée, ni celui du cercle familial en fête ou dans la peine, ni le monde du travail entre éclatement et solidarité, ni la fratrie angoissée des hommes, ni l'univers féminin  autour duquel tout gravite. Histoires simples que celles de ces vies que l'on surprend dans leur décor journalier, autour des tables festives, dans le brouhaha des bistrots ou encore dans leur univers professionnel, là où se tissent les ambitions, les jalousies, les suspicions.  
  
                        

Une histoire simple (1978) est celle de Marie qui rompt avec Serge et décide de ne pas garder l'enfant qu'elle attend de lui, le cinéaste abordant ici le délicat et douloureux problème de l'avortement qui après la promulgation de la loi Veil commençait à se banaliser et prouvait l'évolution rapide d'une société qui n'entendait plus supporter d'entraves à sa liberté. Sautet donne à voir mais ne juge pas ; il se tient en retrait, se contente d'être un peintre des moeurs, un témoin. Cinéaste, c'est-à-dire homme de l'image, il se garde de se montrer partisan. Et on doit l'en remercier, car son cinéma, de belle facture, dans la lignée d'un Renoir et d'un Becker, ne retient sur sa pellicule ultra sensible que les expressions fugitives, les douleurs soudaines, les chuchotements de l'indicible, les aveux susurrés au creux des longs silences, les amours qui se nouent et se dénouent, de ceux qui ne savent pas attendre ou ne peuvent pas finir.

                  

Marie, l'héroïne d'une histoire simple, interprétée par la merveilleuse Romy Schneider, après avoir quitté Serge, son amant (Claude Brasseur), renoue avec Georges son ex-mari (Bruno Cremer) et retrouve en maintes occasions la bande d'amis avec laquelle elle partage ses loisirs, ses soucis et ses joies. Chacun, à l'intérieur de l'histoire, vit son histoire propre, les unes et les autres se mêlant et s'entremêlant dans ce microcosme qui montre combien la solitude peut être plus grande encore au milieu des autres. Familles recomposées, divorces, tentatives de suicide, amours déclinantes, notre lot quotidien est dépeint en une fresque intimiste, sans agressivité, dans les dégradés pastels, avec une humanité empreinte de tendresse. C'est l'art de Sautet d'être ainsi proche de ses personnages, au point de nous les rendre incroyablement accessibles. Celui-ci n'est-il pas notre voisin, celui-là notre confrère, notre associé, voire notre parent ? Cette proximité, par ailleurs, n'est pas dépourvue de piquant et de piment, ce, grâce aux dialogues aimablement ciselés par Jean-Loup Dabadie. Et puis Claude Sautet sait tirer le meilleur de ses interprètes. S'il donne beaucoup, il reçoit en retour. On sait que Romy Schneider fut l'une de ses actrices fétiche et travailla avec lui dans Les choses de la vie, César et Rosalie, Max et les Ferrailleurs, Mado et cette histoire simple où elle est la femme icône d'une modernité encore hésitante. "Romy est une actrice qui dépasse le quotidien, qui prend une dimension solaire. Elle est la synthèse de toutes les femmes, leur chant profond qui donne un sens à leur vie. Elle a une sorte de propreté morale qui irradie d'elle-même et la rend absolue" - écrivait le cinéaste de son actrice. C'est dire combien il la comprenait et, à travers elle, toutes les femmes. Car ce cinéaste sut toujours rester à hauteur d'homme et poser sur ses semblables un regard fraternel.  

 

Pour lire les articles consacrés à Claude Sautet, Romy Schneider et Bruno Cremer, cliquer sur leurs titres :

 

CLAUDE SAUTET OU LES CHOSES DE LA VIE      

ROMY SCHNEIDER - PORTRAIT      

BRUNO CREMER  

 

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UNE HISTOIRE SIMPLE de CLAUDE SAUTET
UNE HISTOIRE SIMPLE de CLAUDE SAUTET
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Présentation

  • : LA PLUME ET L'IMAGE
  • : Ce blog n'a d'autre souhait que de partager avec vous les meilleurs moments du 7e Art et quelques-uns des bons moments de la vie.
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  • Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE
  • Auteur de treize ouvrages, passionnée par les arts en général, aime écrire et voyager.
  • Auteur de treize ouvrages, passionnée par les arts en général, aime écrire et voyager.

Texte Libre

Un blog qui privilégie l'image sans renoncer à la plume car :

 

LES IMAGES, nous les aimons pour elles-mêmes. Alors que les mots racontent, les images montrent, désignent, parfois exhibent, plus sérieusement révèlent. Il arrive qu'elles ne se fixent que sur la rétine ou ne se déploient que dans l'imaginaire. Mais qu'elles viennent d'ici ou d'ailleurs, elles ont l'art de  nous surprendre et de nous dérouter.
La raison en est qu'elles sont tour à tour réelles, virtuelles, en miroir, floues, brouillées, dessinées, gravées, peintes, projetées, fidèles, mensongères, magiciennes.
Comme les mots, elles savent s'effacer, s'estomper, disparaître, ré-apparaître, répliques probables de ce qui est, visions idéales auxquelles nous aspirons.
Erotiques, fantastiques, oniriques, elles n'oublient ni de nous déconcerter, ni de nous subjuguer. Ne sont-elles pas autant de mondes à concevoir, autant de rêves à initier ?

 

"Je crois au pouvoir du rire et des larmes comme contrepoison de la haine et de la terreur. Les bons films constituent un langage international, ils répondent au besoin qu'ont les hommes d'humour, de pitié, de compréhension."


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Stanley Kubrick

 

 

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