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7 octobre 2006 6 07 /10 /octobre /2006 08:55

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Les Enchaînés (Notorious), qui datent de 1946, se situent au milieu de la carrière cinématographique d'Alfred Hitchcock qui la débuta en 1922 avec un film resté inachevé Number Thirteen et la termina en 1976 avec Complot de famille. Ce long métrage a énormément compté pour le metteur en scène qui s'y référait souvent lorsqu'il commençait un nouveau film. Il disait que sa réussite devait beaucoup à la perfection de la distribution : Cary Grant, Ingrid Bergman, Claude Rains et Léopoldine Konstantin. A ce propos, Truffaut, qui a longuement interrogé Hitchcock (Hitchcock/Truffaut-Ed. Ramsay), considérait Les Enchaînés comme l'un de ses films les plus aboutis, du moins de ceux tournés en noir et blanc. " Lorsque nous avons entrepris d'écrire Notorious, disait Hitchcock, le principe du film était déjà établi : l'héroïne Ingrid Bergman devait se rendre en Amérique latine accompagnée d'un homme du FBI, Cary Grant, et elle devait pénétrer dans la maison d'un groupe de nazis et découvrir leur activité. Primitivement nous faisions entrer dans cette histoire des gens du gouvernement, des gens de la police, et des groupes de réfugiés allemands en Amérique latine qui s'entraînaient et s'armaient clandestinement dans des camps, en vue de former une armée secrète ; mais nous ne savions pas ce que nous allions faire de cette armée quand elle serait constituée, alors nous avons envoyé promener tout cela et nous avons adopté un principe plus simple, concret et visuel : un échantillon d'uranium dans une bouteille de vin. Car l'uranium peut servir à fabriquer une bombe atomique. Cela se passait en 1944, un an avant Hiroshima. Je n'avais là-dessus qu'une indication, une piste. Un écrivain de mes amis m'avait affirmé que quelque part dans le désert du Nouveau-Mexique, des savants travaillaient sur un projet secret, tellement secret que, lorsqu'ils entraient dans l'usine, ils n'en sortaient jamais."

 

Rappelons-nous, en effet, le scénario du film : Alicia est la fille d'un espion nazi qui s'est suicidé. Un agent du renseignement, interprété par Cary Grant, lui propose alors une mission qu'elle accepte et tous deux partent pour Rio. La mission d'Alicia consiste à prendre contact avec un ancien ami de son père, dont la demeure sert de repaire à des espions nazis réfugiés au Brésil. Bien que très éprise de Devlin, Alicia va accepter d'épouser Sébastian, espérant que Devlin l'en empêchera et lui déclarera son amour. Mais celui-ci se refuse à mêler business et sentiment. Alicia est désormais entrée dans le sérail et un jour s'empare d'une clé que Sébastian garde toujours sur lui, supposant que cette clé est d'une importance capitale. Or l'occasion lui est donnée, au cours d'une réception, d'inspecter la cave, grâce à cette précieuse clé, et d'y découvrir de l'uranium dissimulé dans des bouteilles de vin. Sébastian comprend soudain, à la suite de regroupements, que sa femme travaille pour les Etats-Unis et, avec l'aide de sa redoutable mère, décide de l'empoisonner lentement afin que sa disparition puisse apparaître comme naturelle. Devlin, ne voyant plus Alicia, devine ce qui se trame, et fait en sorte de la rejoindre dans sa chambre, où elle s'éteint doucement. Il lui avoue son amour et, la soutenant dans ses bras, s'enfuit avec elle, ce, en présence de Sébastian, qui, par crainte de ses complices, ne peut rien tenter pour les retenir.

 

 

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Pas une minute, l'intérêt du film ne faiblit. Il va croissant, grâce à une stylisation simple et ponctuelle. En général, dans un film d'espionnage, il y a de nombreux éléments de violence, alors que là tout se joue en demi-ton : le lent empoisonnement à l'arsenic qui est une façon de disposer de la vie de quelqu'un sans se faire repérer. La mise en scène est volontairement dépouillée, réduite à l'essentiel, ce qui ajoute encore à l'atmosphère oppressante et rend plus cohérente l'action psychologique des personnages. En définitive, l'histoire des Enchaînés est le vieux conflit de l'amour et du devoir. Le cinéaste a introduit un drame psychologique dans une histoire d'espionnage. D'autre part, c'est à partir des Enchaînés qu'entre dans le cinéma du maître une part importante d'érotisme. Rien à voir avec l'érotisme hard d'aujourd'hui, mais, dès lors, les scènes d'amour sont filmées de façon plus suggestives. La critique ne se privera pas, à la sortie du film, d'user d'un slogan racoleur : le plus long baiser de l'histoire du cinéma, à propos de celui échangé par Cary Grant et Ingrid Bergman. "Evidemment, les acteurs ont détesté faire ça", dira Hitchcock. Ils se sentaient terriblement mal à l'aise et ils souffraient de la façon dont ils devaient s'accrocher l'un à l'autre. Je leur ai dit alors - que vous soyez à l'aise ou non m'importe peu ; tout ce qui m'intéresse c'est l'effet que l'on obtiendra sur l'écran. Cette scène a été conçue pour montrer le désir qu'ils ont l'un de l'autre et il fallait éviter par-dessus tout de briser le ton, l'atmosphère dramatique. Je sentais aussi que la caméra, représentant le public, devait être admise comme une tierce personne à se joindre à cette longue embrassade. Je donnais au public le grand privilège d'embrasser Cary Grant et Ingrid Bergman ensemble. C'était une sorte de ménage à trois temporaire."

 

 

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Pour Hitchcock, les plus beaux crimes étant domestiques, il illustre cet axiome à la perfection dans Les Enchaînés, où le mari s'emploie à supprimer sa femme, devenue un témoin gênant, de façon lente et calculée. Dans l'histoire, le symbole du mal n'en reste pas moins la belle-mère, rôle interprété merveilleusement, et avec un réalisme puissant, par Léopoldine Konstantin. Si elle prend plaisir à empoisonner sa bru, c'est parce que celle-ci a capté l'amour de son fils et renié un père nazi. En une image révélatrice, Hitchcock montre Léopoldine brusquement chauve, la cigarette entre les lèvres, allongée sur le lit où elle trame ses mortels complots. Le cinéaste ne finira jamais d'explorer les rapports entre l'amour et le crime, ce qui donne à ses films une ampleur et une résonnance captivantes. L'interprétation des Enchaînés est en tous points remarquable. Le jeu subtil d'Ingrid Bergman s'accorde parfaitement à la fine ironie de Cary Grant qui tient là un de ses meilleurs rôles. A ce couple idéal et sublime, il faut ajouter les prestations d'un Claude Rains en mari déçu et amer et d'une Léopoldine Konstantin diabolique à souhait. L'un des chefs-d'oeuvre de Hitchcock.

 


Pour lire les acticles consacrés aux acteurs et actrices de Hitchcock, à Ingrid Bergman et au réalisateur lui-même, cliquer sur leurs titres :
 

 

 INGRID BERGMAN - PORTRAIT

 


ALFRED HITCHCOCK - UNE FILMOGRAPHIE DE L'ANXIETE

 

 

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3 août 2006 4 03 /08 /août /2006 09:18
LE CERCLE DES POETES DISPARUS de PETER WEIR

       
Il y a des films qui apparaissent soudain comme un événement inattendu et insolite dans la production internationale et qui, grâce au bouche à oreille, qui fonctionne souvent mieux et plus rapidement que le réseau de la critique professionnelle, quotidienne ou hebdomadaire, emplissent les salles obscures comme par miracle. Ce fut le cas du  "Cercle des poètes disparus".  Certes la critique fut favorable au film de Peter Weir, mais l'engouement immédiat des premiers spectateurs et leur enthousiasme communicatif permirent à l'information de se propager comme une traînée de poudre. Voilà un film qui aborde un sujet original et, sans le traiter de façon exhaustive, a le mérite de l'approcher et de poser le problème de la transmission du savoir et de la formation des esprits, d'autant mieux que le réalisateur s'octroie l'audace de situer son action au sein d'un des collèges les plus réputés d'Amérique : l'Académie Welton. Il faut reconnaître au cinéma américain de choisir, à l'occasion, de manière innovante, des sujets difficiles, occultés la plupart du temps par le cinéma européen pour des raisons diverses. Il est vrai aussi que la poésie, qui aspire à se libérer de la raison et à transformer le langage selon ses lois propres, peut inquiéter ou du moins déranger. Nous sortons là des sentiers trop bien balisés par les disciplines scientifiques et mathématiques, voire historiques et philosophiques, pour nous aventurer dans les jardins ensorcelants où l'inconscient et le préconscient spirituel peuvent s'arroger des droits et côtoyer l'abîme intérieur de la liberté personnelle, avec la soif intime de mieux connaître et de mieux saisir les mystères de l'être et de l'existence. D'autant plus que l'activité non-conceptuelle ou pré-conceptuelle de l'intelligence joue un rôle déterminant dans la genèse de la poésie et de l'inspiration poétique. N'est-ce pas l'intuition qui se met alors à l'oeuvre pour atteindre à une connaissance qui n'est plus celle immédiate de la logique et de la raison, mais celle significative, intentionnelle et créatrice de l'intuition, sans laquelle il n'y a pas d'inspiration et de création valable ? Expérience capitale et approche significative qui orientent la pensée en une subjectivité éminemment personnelle. "Est-ce qu'il me faut créer le monde pour le comprendre ? Est-ce qu'il me faut engendrer le monde et le faire sortir de mes entrailles "  - écrit Claudel dans "Les grandes odes".
 

 

Descendre au fond de soi pour y appréhender ce qui est à l'extérieur, entrer dans sa nuit pour y découvrir la lumière, devenir soi pour se mieux porter vers les autres, n'est-ce pas cela que Monsieur Keating a l'ambition d'apprendre à sa jeune classe ? Alors que l'enseignement traditionnel de ce collège forme depuis des décennies, dans un moule parfait, habilement structuré, les futurs grands serviteurs du pays, ce nouveau professeur vient, ni plus, ni moins, faire souffler la tempête et bousculer des principes qui paraissaient jusqu'ici inaliénables. Avec lui, la subversion pénètre ce lieu étanche, où la connaissance rationnelle se transmettait jusqu'alors de génération en génération, sans jamais avoir été remise en cause. Mais si le désordre est subversif par essence, est-il absolument nécessaire ? Voilà l'enjeu du film et la question qu'il soulève, même si la réponse, qu'il s'applique à donner, s'avère davantage sentimentale et pathétique que transcendante. Au personnage central de Monsieur Keating échoie la responsabilité de donner à chacun de ses élèves le goût de soi. Plus exactement l'envie de juger le monde, la vie, les êtres, les situations, les idées, les grandes questions métaphysiques à l'aune de soi-même, sans se laisser influencer par l'air du temps. Ajuster son regard, affiner son esprit, libérer son imagination, accorder à son inspiration personnelle la place qui lui revient, se délester du fardeau de peur et d'angoisse qui pèse si constamment sur notre vie, c'est le challenge qu'il leur propose. Selon lui, il faut réanimer cette part secrète de nous-même, la faire revivre dans l'exaltation et l'enthousiasme, car " dans la poésie l'homme se concentre ou se retire jusqu'aux toutes dernières profondeurs de la réalité humaine " - disait Hölderlin. C'est ainsi que les poètes sont les premiers à attester qu'ils ont un besoin essentiel de lucidité et de liberté,  le poème  étant, par excellence, un acte conscient et délibéré. Ces préceptes, Monsieur Keating  va s'appliquer à les communiquer par le biais de méthodes peu orthodoxes, sorte de "mise en réforme" des idées reçues et ajustement d'un enseignement différent qui va créer nécessairement, au sein de l'établissement, un véritable séisme. A la raison est opposée l'imagination, le goût de la créativité, le désir d'exister dans une totale autonomie de la personne. Un enseignement qui n'est pas envisagé dans le but de former l'élève en fonction d'une activité précise, mais dans celui de l'aider à se trouver, à se réaliser selon ses dons et ses aptitudes, pédagogie que les responsables du collège et certains parents ne pourront tolérer. Ce conte philosophique va irrémédiablement déboucher sur le drame, car toute tempête engendre ses naufrages. L'un des internes va se découvrir une vocation pour le théâtre, grâce au spectacle que les élèves, en fin d'année, organisent avec leur professeur. Bien entendu le père de cet interne s'opposera au souhait de son fils d'embrasser une carrière théâtrale et ce dernier se suicidera, tandis que le professeur sera renvoyé de l'institution sur le motif d'avoir mis ce jeune garçon sur la voie de l'autodestruction. La dernière scène du film est superbe et inattendue. Alors que le maître salue une dernière fois ses élèves, toute la classe monte sur les pupitres, en criant : " O capitaine, mon capitaine ", afin de bien persuader leur ancien professeur qu'ils ont retenu sa leçon, qui n'est autre que de rester, envers et contre toute pression exercée par qui que ce soit,  un esprit libre.
 

                    

Comme je l'écrivais au début de cet article, le film fut un énorme succès mondial qui  a su utiliser toutes les ressources de l'émotion. Robin William y est un professeur plein d'originalité et d'insolence, parfaitement crédible et irrésistible par son jeu nuancé et ironique ; quant aux jeunes acteurs, ils sont étonnants de naturel et de spontanéité. Bien sûr ce long métrage n'échappe pas, comme beaucoup d'autres, au manichéisme bien connu du cinéma américain, avec d'un côté le bon professeur, de l'autre l'archaïsme borné du système éducatif, mais, malgré cette faiblesse, le film exerce son pouvoir envoûtant, auquel la musique de Maurice Jarre ajoute sa force émotionnelle. Une grande réussite.


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LE CERCLE DES POETES DISPARUS de PETER WEIR
LE CERCLE DES POETES DISPARUS de PETER WEIR
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30 juillet 2006 7 30 /07 /juillet /2006 08:42
SUR LA ROUTE DE MADISON de Clint EASTWOOD

                                              

Sur la route de Madison,  tirée d'un roman de Robert James Waller, est un film à part dans la production hollywoodienne de ces dernières années. Un film qui ne délivre aucun message, ne brandit aucune doctrine, ne retrace aucune épopée, et n'a d'autre ambition que de raconter la simple histoire d'un homme et d'une femme qui vont s'aimer pendant quatre jours, mais quatre jours qui rimeront avec toujours. Pas une passion furieuse, violente, sexuelle, dévorante et tragique ; non, un amour profond, sincère, un dernier bel amour entre personnes d'âge mûr, une rencontre lumineuse qui laissera à jamais, dans leur mémoire, son indéfectible rayonnement.
 

 

Lorsque le film commence, nous voyons apparaître sur l'écran une vieille boîte aux lettres provinciale. Le ton est donné. Venus régler les détails de la succession de leur mère, Michael et Carolyn trouvent surprenant et pénible l'idée de devoir répandre ses cendres du haut du pont couvert de Madison. Pourquoi leur mère n'a-t-elle pas voulu que sa dépouille aille rejoindre celle de leur père dans le cimetière de la ville ? Ils vont en découvrir la raison en lisant son journal intime, où elle retrace ce qui s'est passé dans sa vie, habituellement rangée et monotone, durant quelques jours de l'année 1965. Alors que son mari et ses enfants étaient partis à une fête, Francesca, restée seule, rencontre Robert Kincaid, photographe au National Geographic et chargé d'effectuer un reportage sur les vieux ponts couverts de cette région de l'Iowa. Après lui avoir indiqué où se trouvait celui de Roseman, Francesca invite Robert chez elle. Ils se revoient le lendemain, dansent ensemble et deviennent amants. Avant de la quitter quelques jours plus tard, Robert demande à Francesca de l'accompagner, mais elle refusera pour la seule raison qu'elle n'a rien à reprocher à son mari et que le scandale, qui surviendrait immanquablement, détruirait sa famille. Après la mort de Richard, ses enfants devenus grands, elle essaie de retrouver Robert et apprend sa mort. Il lui a d'ailleurs légué un album de photos " Four days "et ses cendres ont été, selon sa volonté, dispersées depuis le pont de Roseman. C'est ainsi que les enfants comprennent enfin pour quelle raison, au-delà de la mort, leur mère aspirait à rejoindre l'homme qu'elle avait passionnément aimé. Pas d'histoire plus émouvante qui, si elle n'était pas traitée avec cette pudeur, cette économie, cette sobriété qui donnent au film sa tonalité propre et son retentissement, pourrait friser le mélo. Eastwood, qui ne devait, dans un premier temps, n'être que l'acteur principal et à qui a fini d'incomber la triple fonction de producteur, metteur en scène et interprète, à la suite de la défection de Bruce Beresford, retrouve - comme par magie - la tendresse, la beauté, la rigueur de ses confrères d'antan, John Ford et Howard Hawks, dans la mouvance desquels se place Sur la route de Madison - et parvient à fonder l'assise du film sur de simples, mais authentiques rapports humains, sans avoir recours à des effets spéciaux, sans violence et sans scènes de sexe.
 


" Lorsque j'ai décidé de faire le film, a-t-il déclaré - je savais qu'il y aurait des préjugés contre moi. Pourtant, j'ai toujours été un romantique. J'adore les atmosphères d'éclairage aux chandelles, avec un bon verre de vin et de la bonne musique. Le livre frise le mélodrame. Nous avons évité au maximum d'envoyer les violons. Dans le film, on nous voit, Meryl et moi, éplucher des carottes ou chasser des mouches. Je voulais que les gens, en nous voyant, pensent à eux, à leurs propres relations amoureuses. Tout le monde, à un moment de sa vie, a eu - ou en a rêvé - une grande histoire d'amour."
 


Il est vrai que moi-même je ne m'attendais pas à découvrir un Clint Eastwood  jouant sur un registre aussi délicat et sensible. J'avais eu la même surprise, autrefois, en découvrant Burt Lancaster en vieil aristocrate italien dans Le Guépard. Ce qui prouve qu'un grand acteur peut jouer dans toutes les tonalités et ne pas cesser de nous surprendre en acceptant des rôles dits de " contre-emploi ".Eastwood a soixante-cinq ans lorsqu'il tourne ce film et, cependant, il n'hésite pas à apparaître comme un homme épris, ébranlé dans sa sensibilité par cette rencontre inespérée. Son style atteint une plénitude artistique exceptionnelle et son jeu tout en nuance, qui se concentre dans ses regards, dans ses attitudes, est proprement admirable. Deux scènes illustrent cette sobriété de jeu que partage également Meryl Streep. Dans la première, alors qu'elle parle au téléphone, Francesca arrange le col de chemise de Robert Kincaid, tandis qu'il lui touche doucement la main et que, bientôt, ils se mettent à danser ensemble. En quelques secondes, sans effusion, sans hystérie, de la manière la plus évidente, tout est dit de l'importance grandissante de leur sentiment. Dans l'autre scène, cette femme mûre étreint la poignée de la porte de sa voiture, prête à en sortir, à quitter son mari pour suivre cet homme qu'elle aime, puis elle relâche sa pression et se refuse à se lever, à sortir du véhicule. Toute son énergie se dresse contre son élan naturel à courir rejoindre Robert, si bien qu'elle démarre et s'éloigne dans le sens opposé. Ainsi, contraints par la force des choses, les amants partent-ils dans des directions différentes.  Le devoir vient de l'emporter sur l'amour qui, néanmoins, ne les lâchera plus. Quelques minutes de bonheur auront suffi à bouleverser leur existence. Dans la dernière séquence, on voit Clint Eastwood sous la pluie, le visage défait, regardant, sans pouvoir la conquérir définitivement, celle qui s'en retourne silencieusement vers son mari. Jusqu'à ce que, plus tard, beaucoup plus tard, leurs cendres, répandues au même endroit, ne signent leurs retrouvailles dans l'au-delà de la mort.
 

 

Nous sommes loin, avec ce film, des héroïnes paroxystiques, chères à Tennessee Williams, ou des passions hard qui inondent nos écrans et nous montrent des amours humaines sous l'angle de l'affrontement brutal et sauvage. Là, nous évoluons dans la plus pure mélodie amoureuse, l'alliance des coeurs et des esprits, l'épanouissement harmonieux des corps. Eastwood, renonçant à l'aspect macho que le personnage avait dans le roman, choisit d'en faire un être sensible et vulnérable, contribuant à renforcer, par sa retenue, le personnage de Francesca, finement joué par la merveilleuse Meryl Streep. Et, ce, à un tel degré d'excellence, que La route de Madison est, peut-être, l'un des plus beaux films jamais tourné sur l'amour, dans ce qu'il a de plus accompli, de plus achevé. Oeuvre anachronique, il est vrai, dans l'Hollywood quelque peu tapageur des années 90. Et le modèle d'un film qui a su dépasser sa source d'inspiration : le roman.

 

Pour lire les articles consacrés à Meryl Streep et Clint Eastwood, cliquer sur leurs titres :

 

MERYL STREEP - PORTRAIT           CLINT EASTWOOD - PORTRAIT

 

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SUR LA ROUTE DE MADISON de Clint EASTWOOD
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27 juillet 2006 4 27 /07 /juillet /2006 11:15
LA CHATTE SUR UN TOIT BRULANT de RICHARD BROOKS

  

Le projet d'un film, à partir de la pièce de Tennessee Williams,  fut envisagé par le producteur Pandro S. Berman, dès qu'il eût assisté à sa représentation à New-York, avec le désir de confier le rôle principal à Grace Kelly, ce qui, selon moi, aurait été une erreur de casting. Finalement la réalisation du long métrage  La chatte sur un toit brûlant est confiée à Georges Cukor, homosexuel notoire, qui refuse, après lecture, d'en assumer le tournage, avouant, qu'à l'époque, il n'était pas possible de traiter honnêtement de l'homosexualité. Mankiewicz fut contacté à son tour sans plus de succès et c'est finalement Richard Brooks, après bien des tergiversations, qui acceptera de mener le projet à son terme et d'être en même temps le scénariste et le metteur en scène.


" Je n'avais pas l'impression que l'homosexualité, latente ou évidente, était indispensable pour l'histoire. Dans un théâtre, vous avez une audience conditionnée mais si, au cinéma, vous voyez un homme à l'écran qui passe son temps à dire qu'il n'a pas envie de coucher avec Elisabeth Taylor, alors le public commencera à siffler. Ils ne peuvent s'identifier avec le héros parce qu'eux ils ont envie de coucher avec Elisabeth Taylor. Mais si Paul Newman disait : " Non, ma chérie, je pense à Skipper ", la salle éclaterait de rire. Il a fallu que je trouve une dramatisation du refus que Brick oppose à Maggie, non parce qu'il est incapable de l'aimer, mais parce qu'il la considère comme responsable de la mort de Skipper."

 


La situation de Brick (personnage central, admirablement interprété par Paul Newman) est doublement tragique, parce qu'il a été trahi par les deux êtres qui comptaient le plus pour lui. Cette situation est remarquablement rendue, lors de la longue séquence où Maggie (Elisabeth Taylor) change ses bas maculés de crème devant Brick et ne parvient pas à éveiller chez lui la moindre réaction amoureuse, tant celui-ci est davantage  préoccupé par ses fantasmes et son bourbon, que par cette femme somptueuse qui s'offre à lui. De même, lorsque, par inadvertance, ses mains se posent sur la combinaison en soie de sa femme, suspendue dans la salle de bains, et dont il se débarrasse avec agacement, comme si cette évocation féminine le dérangeait. Brooks a fait en sorte de jouer sur plusieurs régistres sans se contenter de ce parfum de scandale que représentait, à l'époque, l'homosexualité ; il choisit de ne parler qu'allusivement des rapports qui ont uni Brick et Skipper, bien que certaines phrases soient très explicites - et de dénoncer en priorité un monde contrôlé par le mensonge et la duplicité, un univers où les êtres ne cessent de se dérober aux regards des autres. Le film montre, d'une part, une société en déliquescence qui doute d'elle-même et expose, par ailleurs, les graves problèmes qui n'en finissent pas de la miner en profondeur.


" Dans la dernière partie du film, déclarait Brooks,  les personnages sont donc confrontés à leur passé, le père à tous les objets qu'il a achetés mais qui ne sont plus que des symboles de richesse, parce qu'ils sont devenus inutiles ; le fils, à tous les prix qu'il a remportés et qui ont perdu, eux aussi, toute signification. Il fallait que les deux âmes soient mises à nu, qu'elles se contemplent : on doit voir la vérité en face, aussi affreuse soit-elle. Ce n'est qu'ensuite qu'ils peuvent remonter de cette cave et déboucher dans un espace ouvert et l'histoire peut se poursuivre dans cette ascension vers l'extérieur de la maison."

 

L'intelligence et la sensualité du scénario de Richard Brooks a bénéficié d'une interprétation parfaite, notamment celle éblouissante d'Elisabeth Taylor, dont on ne dira jamais assez combien elle était une excellente actrice, actrice d'instinct qui ne fut pas toujours bien employée, hélas ! et qui trouve là l'un de ses plus beaux rôles. Ce fut, lors de ce tournage, que son mari  Michael Todd disparut dramatiquement dans un accident d'avion. Sa douleur ne l'empêcha pas de revenir trois semaines après dans les studios pour terminer une ultime scène, manifestant ainsi son souci d'assumer jusqu'au bout ses engagements. Le film reçut un accueil mitigé et doit énormément à la renommée des deux principaux interprètes. Il est évident que l'Amérique n'était pas enchantée que l'on dévoile certaines de ses plaies secrètes. On sait l'impact que les films - surtout s'ils ont été réalisés par et avec des gens de talent - exercent sur le public, et celui-ci ne pouvait manquer de frapper les imaginations et d'interroger les consciences. Pour une fois, un réalisateur s'attaquait à des problèmes de société et révélait la nature du mal : un monde en perte de valeurs qui ne se reconnaissait plus dans les fausses apparences qu'il s'appliquait à revêtir. " Il n'y a rien de plus puissant que l'odeur du mensonge " - dit à un certain moment le tonitruant Big Daddy. A travers le personnage frustré de Maggie, c'est une Amérique frustrée de ses idéaux qui est évoquée. Dans cette course à l'héritage, c'est aussi une Amérique polarisée par l'argent qui est dénoncée et ainsi de suite. Ce petit monde grouillant dans la médiocrité de ses aspirations,  le sexe, l'alcool, le suicide, l'argent, la lâcheté, nous fait découvrir que le mal rampant dont il souffre n'est autre qu'un manque d'espérance, un manque d'amour et, par voie de conséquence,  une absence de spiritualité.

 


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ELISABETH TAYLOR, L'ENSORCELEUSE         PAUL NEWMAN

 

 

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23 juillet 2006 7 23 /07 /juillet /2006 08:47
LA DAME DE SHANGHAI d'ORSON WELLES

                                            
La dame de Shanghaï  est un film qui a beaucoup dérangé le public américain de l'époque (1947). En effet, on savait que le couple Welles/Hayworth vivait séparé et que plus rien n'allait entre eux, lorsqu'il fût annoncé que Welles engageait son ex-femme pour tenir le rôle vedette de son prochain film. Le cinéaste traversait alors - et sur tous les plans - une période difficile ; il avait des besoins d'argent pour une pièce qu'il montait, aussi proposa-t-il au patron de la Colombia, Harry Cohn, de produire un film pour lui. Il ne s'agissait d'ailleurs, dans l'esprit de Welles, que d'un film de série B dont le devis de 350.000 dollars lui assurerait toutefois le quadruple poste de producteur, scénariste, metteur en scène et acteur. Cohn ayant accepté, Welles lui proposa d'adapter un policier de Sherwood King "If I die before I wake ", dont le titre avait attiré son attention mais qui, à la lecture, se révéla désastreux.
 

 

Mais la parole était donnée, l'engagement pris, Welles ne pouvait plus reculer. Il allait donc s'employer à porter ce polar à l'écran en restant fidèle à l'intrigue, mais en lui prêtant son talent de metteur en scène, c'est-à-dire une mise en images qui n'allait manquer ni de force, ni d'originalité, même si La dame de Shanghai ne se place pas, à proprement parler, parmi les très grands films. C'est Harry Cohn qui imposa Rita à son ex-époux. Il l'avait sous contrat à la Colombia et pensait que son aura de star assurerait au film une bonne diffusion. L'actrice était alors au faîte de sa carrière et de sa célébrité, elle défrayait régulièrement les chroniques des gazettes hollywoodiennes, et était considérée comme l'une des plus belles femmes du monde. Welles, qui aurait préféré Barbara Laage, s'inclina et considéra que c'était là un cadeau de rupture qui ne manquait pas de piment, mais exigea que l'actrice se fit couper les cheveux et teindre en blonde. Rita, la rousse flamboyante, devenait ainsi une blonde platinée, conforme au moule conventionnel de la capitale du cinéma. Gilda s'était changée en Elsa, une criminelle calculatrice et manipulatrice qui allait assassiner l'ami de son mari, compromettre son amant et trouver à son tour la mort en provoquant son mari dans un mystérieux parc d'attractions. Rita Hayworth ne pouvait pas trouver de rôle plus ingrat et plus antipathique, mais il lui plaisait assez de montrer au public qu'elle pouvait casser son image glamour et devenir une actrice dramatique.
 

 

L'histoire se passe à San Francisco, où le marin Michael O'Hara vient de sauver d'une agression une séduisante jeune femme du nom d'Elsa Bannister. En guise de remerciement, le mari de celle-ci, un avocat de renom, invite Michael à embarquer sur son yacht pour une croisière, ce que le marin ne saurait refuser. N'est-ce pas une opportunité rêvée qui lui permet de rester quelques jours en présence d'Elsa, dont il est follement amoureux ? A bord, il y a aussi Georges Grisby, un ami de Bannister en mal d'argent, qui va jusqu'à proposer à Michael de simuler pour 5000 dollars son meurtre, afin qu'il puisse toucher une importante prime d'assurance. Michael  accédera à ce souhait invraisemblable pour la bonne raison que cette somme lui permettra de partir avec Elsa. Mais Grisby est retrouvé mort et Michael, désigné d'office pour le meurtrier, puisqu'il a eu la sottise de signer un papier compromettant. On apprendra, par la suite, que le meurtrier était une meutrière : Elsa.
 

                     

Film sombre s'il en est, l'intrigue assez loufoque est sauvée par l'interprétation intense et magnétique d'un Orson Welles magnifique en héros manipulé, plongé dans un véritable cauchemar ; par une éblouissante Rita qui campe cette femme glacée avec un détachement inhabituel, comme étrangère à cette intrigue dont elle tire les ficelles ; enfin par une mise en scène techniquement parfaite, pleine de trouvailles, d'angles étudiés qui ajoutent encore à l'ambiance suffocante du film. Ainsi la dernière scène, qui se déroule dans un palais des miroirs, et multiplie à l'infini l'image du couple éclaté. Puis, l'abandon par Michael d'Elsa agonisante, après le différend qui l'a opposée à Bannister.

 

Beaucoup de spectateurs y virent une intention précise de la part de Welles de présenter une Rita odieuse et méprisable et considérèrent que c'était là une vengeance à l'égard d'une femme qu'il avait aimée. Lui-même tenta de s'en expliquer : "Le sujet du film est exactement celui du livre, que je n'avais pas lu. Ainsi la théorie qui veut et qui a été exprimé des milliers de fois, comme quoi il s'est agi d'un acte de vengeance contre Rita et que tout cela était un vaste complot dans lequel je voulais corroder son image, et ainsi de suite, n'a pas de sens puisque tout cela est dans le livre. Elle-même a lu le livre et a voulu jouer le personnage pour montrer qu'elle était une actrice dramatique."

                   

A l'évidence le film choqua et le divorce, prononcé juste au moment de la sortie du film, ne fit rien pour arranger les choses. Il reste à La dame de Shanghaï  sa beauté esthétique, sa gravité douloureuse lors de certaines scènes, la présence de deux monstres sacrés du cinéma et, par delà un policier sombre, l'hommage secret que Welles entendait rendre à l'expressionnisme allemand.



Pour lire les articles consacrés à Orson Welles et Rita Hayworth, cliquer sur leurs titres :  

  
ORSON WELLES OU LA DEMESURE
            RITA HAYWORTH, DEESSE DE L'ECRAN

 

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LA DAME DE SHANGHAI d'ORSON WELLES
LA DAME DE SHANGHAI d'ORSON WELLES
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20 juillet 2006 4 20 /07 /juillet /2006 08:10
L'AVENTURE DE Mme MUIR de JOSEPH MANKIEWICZ


Tiré d'un roman de R.A. Dick, le film  L'aventure de Mme Muir a su créer un climat qui n'appartient qu'à lui et suggère, par la force de l'image, un monde romanesque où la vie elle-même n'est plus qu'une transposition du rêve. Nous sommes à Londres au début du XXème siècle, au moment où Lucy Muir, une jeune veuve, quitte sa belle-famille pour s'installer avec sa fille Anna et sa servante Martha à Whitecliff, au bord de la mer. Lucy remarque une maison un peu délabrée et étrange que les gens du pays disent hantée. C'est là qu'elle veut vivre désormais, attirée, on ne sait pourquoi, par les bruits qui courent autour de ces vieilles pierres. Et, dès son installation, le fantôme du capitaine Gregg lui apparaît. Il lui apprend que, contrairement aux rumeurs, il ne s'est nullement suicidé mais a été asphyxié. Ce fantôme va devenir, au fil des nuits, son familier et faire en sorte de l'aider dans son existence quotidienne. La sachant ruinée, il entreprend de lui inspirer le texte de sa vie aventureuse, persuadé que ce livre rencontrera la faveur du public et la mettra à l'abri du besoin. Et cela se passe ainsi. Un éditeur, emballé par le sujet, le publie et l'ouvrage connait très vite le succès. Mais voilà que, chez l'éditeur, la jeune femme noue une relation avec un homme aux manières élégantes. Le fantôme comprend avec tristesse qu'il doit s'éloigner et, au cours d'une nuit, lui fait ses adieux. Les années passent. Lucy a appris que son séducteur était marié et père de famille ; sa fille Anna se fiance, et elle se retrouve seule et désemparée. Soudain le fantôme de Gregg lui réapparaît et lui ouvre les bras. Lucy quitte alors son apparence charnelle et rejoint pour l'éternité cet homme qu'elle aimait sans vraiment le savoir.

 

L'histoire pourrait être banale. A la réflexion, il n'en est rien, car elle est riche de symboles. Le capitaine Gregg matérialise les fantasmes de Lucy à qui il dit : " Je suis ici parce que vous croyez en moi. Continuez à le croire et je serai toujours réel pour vous." S'il s'éloigne, ce n'est que pour la laisser libre d'assurer ses choix et d'agir selon son coeur. " C'était un rêve, Lucia, et au matin et toutes les années suivantes, tu t'en souviendras comme d'un rêve. Et il mourra comme tous les rêves au moment du réveil. Comme tu aurais aimé le cap Nord et les fjords sous le soleil de minuit, naviguer au-delà des récifs des Barbades où les eaux tournent au vert. Les Falklands où le vent du sud souffle et fouette les vagues blanches d'écume. Que de choses nous avons perdues, Lucia, que de choses nous avons perdues tous les deux. Adieu, mon amour ! " lui dit-il encore la nuit où il la quitte, afin de ne pas entraver son existence terrestre. Ce n'est donc qu'en mourant que cette femme accédera à l'amour et rejoindra le capitaine Gregg, homme idéal, rêvé, espéré, on ne sait. C'est là la merveilleuse énigme que propose le film. Serait-ce seulement au delà du temps et de la vie que s'atteint la réalité de l'amour où, en ce monde, il n'est qu'une gageure ? Qu'en est-il et où le situer ? Devenue la confidente d'un fantôme, Lucy franchit plus aisément le miroir qui sépare la réalité du rêve, le visible de l'invisible, dualité permanente qui trouble notre juste appréciation des choses.  Qu'est-ce qui est vrai, qu'est-ce qui est réel ?  Ce film a le mérite de nous interroger sur nous-même, sur le sens de la vie, sur l'importance que revêt l'imaginaire au sein du vécu. On peut y voir également un certain pessimisme quant aux rapports amoureux qui apparaissent si médiocres dans le monde humain. Les dialogues ciselés de Philippe Dunne, et peut-être de  Joseph L. Mankiewicz  lui-même, la musique envoûtante donnent au film une profondeur, une qualité rare de suggestivité, en font une oeuvre à part, étrange, policée, fantastique, évanescente qui nous convainc que le cinéma est vraiment un art à part entière, capable de tout dépeindre et de tout exprimer. Gene Tierney y est une Lucy émouvante, d'une beauté immatérielle, celle d'un ange qui ne serait sur cette terre que par inadvertance. Quant à  Rex Harrison,  il sait allier avec subtilité la tendresse, la force, l'abnégation, la retenue... au long de cet itinéraire initiatique très personnel. On retrouve certains thèmes chers au réalisateur de La comtesse aux pieds nus : un personnage rêvant à un autre monde comme Cléopâtre, Diello, Eve Harrington ou Maria Vargas et qui ne trouve la sérénité que dans la mort. Une mort envisagée  comme un seuil à passer, une étape à franchir.

 


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GENE TIERNEY, L'ATTENDRISSANTE


 

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L'AVENTURE DE Mme MUIR de JOSEPH MANKIEWICZ
L'AVENTURE DE Mme MUIR de JOSEPH MANKIEWICZ
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19 juillet 2006 3 19 /07 /juillet /2006 10:17

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A Casablanca, en 1941, deux courriers allemands sont assassinés. Le capitaine Renault, responsable de la police locale, assure le major Strasser qu'il va arrêter le soir même le coupable dans un night-club de la ville, tenu par un certain américain Rick Blaine, lieu de tous les trafics où se côtoient régulièrement des partisans de Vichy mais aussi de la France libre, des joueurs, des voleurs, des trafiquants et des résistants, en quelque sorte un monde miniature qui représente toutes les tendances d'une société déstabilisée par la guerre et dont les instincts les plus noirs, comme les élans les plus nobles, sont sollicités par la complexité des événements.

 

Arrive dans le même temps un chef de la résistance Victor Laszlo accompagné de sa femme Ilsa Lund. Cette dernière demande d'emblée au pianiste, qui assure le spectacle musical, de jouer " As time goes by " et on comprend, en voyant apparaître Rick, qu'autrefois tous deux ont vécu une passion amoureuse dans un Paris  encore libre. Mais la capitale est bientôt décrétée Ville ouverte  et Rick, résistant américain, qui a déjà opéré en Ethiopie et en Espagne, se voit contraint de quitter la ville pour gagner l'Afrique du Nord. Il était prévu qu'Ilsa partirait avec lui, mais à la gare, on fait parvenir à Rick une lettre de rupture, et il part seul.

 

Depuis lors, il est un homme amer et désenchanté, un opportuniste cynique qui a oublié son idéal d'antan, son combat pour un monde meilleur. Il se contente dans l'immédiat de gérer son établissement au mieux de ses intérêts, sans se soucier du trafic occulte et de la guerre d'influence qui s'y pratiquent. Sa vie a basculé lorsque Ilsa a rompu leur idylle, de façon brutale et inexplicable à ses yeux. Grâce aux flash-back, on apprend qu'à Paris, elle a retrouvé Victor et pensé de son devoir de rester à ses côtés, d'autant qu'il revient auréolé de ses faits et mérites de grand résistant. Voici donc deux hommes qui sont soudain confrontés, non seulement l'un à l'autre, mais à la réalité du moment. Certes, ils aiment la même femme, mais leurs positions sont totalement divergentes et incompatibles : si Victor est resté fidèle à son engagement moral, Rick a oublié ses idéaux et se limite à surveiller les bénéfices de sa boîte de nuit, en corrompant, à l'occasion, les clients qui le sollicitent. Remis en présence d'Ilsa, pour laquelle il éprouve toujours le même amour, il va redevenir, au fil des circonstances, un homme qui renonce à sa neutralité et va prendre les risques qu'implique le retour à des convictions courageuses. Par respect pour lui-même et pour l'amour d'une femme, il fera en sorte de permettre l'évasion du couple vers l'Amérique, perdant celle qu'il aime une seconde fois.

 

 

                      Humphrey Bogart et Ingrid Bergman. Action Gitanes

 

 

Parabole politique et film de propagande américain qui a su bien évoluer, Casablanca a le mérite de mettre en scène, en un raccourci remarquable, le conflit mondial et les différentes forces en présence. On verra Rick lutter intimement entre son amour pour Ilsa et son devoir d'homme en proie à un dilemme moral qui lui fera retrouver son honneur  et son courage, puisqu'il ira jusqu'à abattre le major Strasser, qui s'apprêtait à arrêter les fugitifs, sous les yeux du capitaine Renault. Ainsi le film de Curtiz, par le biais d'une relation triangulaire d'une forte intensité romanesque, revisite-t-il le thème de l'idéalisme, sublimé au cours de la scène où Rick entonne la Marseillaise face aux Allemands qui chantent  Die Wacht am Rhein.

 

En homme blessé, qui cache sa fragilité sous des dehors désabusés et narquois, voire même impudents, auprès d'une Ingrid Bergman lumineuse et assez fine pour  exprimer l'ambiguïté de son personnage, partagé entre le respect qu'elle porte à son mari et l'attirance irrésistible qu'elle éprouve toujours pour son ancien amant,  Humphrey Bogart trouve là son meilleur rôle.

 

Michael Curtiz, émigré hongrois, arrivé aux Etats-Unis dans les années 20 et dont plusieurs membres de la famille avaient fui l'Allemagne nazie, a su rendre sensible l'état d'esprit de ces exilés, plus exposés qu'auncun autres aux dangers et aux trahisons. Certes, le film n'échappe pas aux lieux communs et aux clichés - il fut d'ailleurs tourné de façon anarchique, le scénario et les dialogues ayant été constamment remaniés, au point que l'issue du film n'était pas encore connue quelques jours avant la fin du tournage - mais le talent du réalisateur sut pallier à ces inconvénients et produire une sorte de petit miracle : l'alchimie inespérée et surprenante entre l'élégance de la mise en scène, la beauté des images, des gros plans et des clairs-obscurs, la vivacité et souvent l'humour des dialogues toujours efficaces, enfin l'interprétation remarquable des trois principaux acteurs et des seconds rôles, criants de vérité et de naturel.

 

Classique parmi les classiques, Casablanca est devenu un film culte pour les générations qui ont suivi la guerre et il l'est resté. Nominé huit fois aux Oscars, il obtint l'oscar du meilleur film, ceux du meilleur scénario et de la meilleure mise en scène. Tourné à Hollywood, il partage aujourd'hui le privilège d'être le film préféré des Américains avec Autant en emporte le vent et fit entrer dans la légende des couples romantiques du grand écran Humphrey Bogart et Ingrid Bergman.

 

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INGRID BERGMAN - PORTRAIT

 

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                     Humphrey Bogart et Ingrid Bergman. Action Gitanes

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14 juillet 2006 5 14 /07 /juillet /2006 11:56
MADAME BOVARY de VINCENTE MINNELLI

 


Lorsque Flaubert envisagea d'écrire Madame Bovary, il ne s'était encore essayé qu'à des oeuvres de jeunesse. Après avoir lu son essai La tentation de Saint-Antoine à ses amis Maxime Du Camp et Louis Bouilhet, qui lui donnèrent le conseil de ne pas le publier, il eut l'idée de s'inspirer d'un fait divers " l'affaire Delaunay " pour élaborer un roman auquel il consacrera cinq années de sa vie. Il se met à la tâche en septembre 1851, après un voyage en Egypte, Syrie et Palestine. A l'épisode Delaunay/Delamare qu'il respecte entièrement, il ajoute, pour le personnaliser et en faire une oeuvre d'art, ses propres souvenirs, l'histoire de sa liaison orageuse avec Louise Colet et ses sentiments personnels, puisqu'il a été jusqu'à dire "Emma Bovary, c'est moi ! " Flaubert fut, à proprement parler, envoûté par son sujet, et sa correspondance nous donne maints témoignages de cette sorte de possession dans laquelle il vécut de septembre 1851 à avril 1856. Il devait, par ailleurs, confier à Taine quelques années plus tard : "Quand j'écrivais l'empoisonnement d'Emma Bovary, j'avais le goût de l'arsenic dans la bouche. Mes personnages imaginaires m'affectaient, me poursuivaient, ou plutôt c'était moi qui étais en eux." Sans doute est-ce là le secret de la vie étonnante d'un livre qui n'a cessé d'émouvoir et de passionner. Ainsi d'un pensum, à l'origine, et d'un fait divers banal, l'écrivain est-il parvenu à tirer un chef-d'oeuvre et à donner à des gens quelconques une portée universelle. Mais la publication en revue n'alla pas sans difficultés et il fallut plusieurs années de lutte pour l'imposer au public.

 

Le 24 janvier 1857, Flaubert passe en correctionnelle sous l'inculpation d'outrage à la morale publique et aux bonnes moeurs. Il fut acquitté, mais ne resta pas moins coupable, au regard de la société, de ne pas s'être suffisamment rendu compte qu'il y avait des limites que la littérature ne devait pas dépasser. Ce procès valut à l'oeuvre un succès de scandale mais l'auteur s'en retira brisé. Seul Sainte-Beuve loua l'ouvrage comme il le méritait, alors que l'ensemble de la critique se montrait frileuse et s'en tenait à des propos conventionnels qui ne l'engageait pas... Ce qui n'empêcha point l'influence grandissante de Madame Bovary sur l'évolution du roman français et ses adaptations nombreuses sur les scènes de théâtre. Il est amusant de noter qu'en 1949, lorsque le producteur Pandro S. Berman, le scénariste Robert Ardrey et le réalisateur  Vincente Minnelli  projettent d'adapter l'oeuvre à l'écran, ils craignent encore que le code de production de l'époque, dans une Amérique puritaine, ne s'oppose à la représentation du personnage d'Emma Bovary en raison de sa conduite adultère. Aussi prennent-ils l'option de faire raconter l'intrigue par Gustave Flaubert en personne, au moment où il passe en jugement. " Après avoir lu, entre autres, écrivait Minnelli, les essais d'Henry James, Somerset Maugham et Sigmund Freud, j'élaborai une Emma Bovary dans la lignée romantique de Hugo ou de Chateaubriand, ma conception du personnage était celle d'une adolescente rêveuse. Des photos de couples à cheval et de rendez-vous amoureux dans des jardins secrets décorent les murs de sa chambre au couvent et indiquent déjà sa nature sentimentale. Elle est en quête de la beauté et seul son esprit peut enfanter ce concept à chaque instant, puisque sa vie se heurte à une réalité indigne... La sexualité est le moyen qu'elle trouve pour s'éloigner de son mari, médecin de campagne terne et gris. Chaque fois qu'une porte lui claque à la figure, elle en trouve une autre à ouvrir... qui est un nouveau pas vers la vie qu'elle souhaite vivre. Et pourtant, il ne s'agit pas d'assouvir des besoins sexuels. Les femmes de cette époque n'y songeaient pas." Ailleurs, le metteur en scène de  Madame Bovary  précise :  Pour suggérer le narcissisme d'Emma, j'eus recours à divers procédés. L'utilisation de miroirs était l'un des plus efficaces. Elle se contemple dans le miroir, tout en se maquillant pour son époux. Puis, au cours du bal, elle voit de nouveau son reflet dans un immense miroir ovale, ainsi que les hommes qui l'entourent ; elle se voit telle qu'elle s'imagine être, au cours de ses rêveries romantiques... Plus tard, alors qu'elle s'achemine vers la ruine, on retrouve le miroir, mais cette fois, brisé, dans la chambre de Rouen où elle rencontre Léon.

 

Constamment le metteur en scène va jouer avec le rapport qui existe entre l'héroïne et les miroirs, les glaces, les fenêtres, comme si ceux-ci représentaient une ouverture possible, un échappatoire vers un monde différent. A ce titre, la scène de la valse est une séquence révélatrice. Tandis que Charles Bovary boit, Emma danse au point que, grisée par le tourbillon qui l'entraîne, elle commence à s'essouffler, à manquer d'air et qu'on brise une vitre pour qu'elle puisse mieux respirer. Il est remarquable de constater combien Minnelli, soutenu par son équipe, eut le souci de faire sa propre étude introspective sur la personne d'Emma, cette femme qui ne peut accepter la médiocrité de son existence et dont la présence finit par agir comme un révélateur sur les autres personnages. Admirablement séquencé et interprété par  Jennifer Jones  et  Louis Jourdan,  le film est une remarquable adaptation de l'oeuvre de Flaubert, qu'il ne dénature aucunement. La scène la plus émouvante est sans doute celle où seule dans la petite chambre de l'hôtel de Rouen, où elle avait l'habitude de retrouver son amant, Emma valse seule avec la robe de bal qu'elle portait chez le marquis d'Andervilliers. Elle sait alors que ses rêves l'ont quittée et sa vie ne lui apparait plus que comme un gant que l'on jette, un tissu que l'on froisse...Ce film reste aujourd'hui d'une remarquable modernité et nulle adaptation ne l'a encore surpassé.

  


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10 juillet 2006 1 10 /07 /juillet /2006 10:33
PANDORA d'ALBERT LEWIN

    

L'histoire que nous raconte le film Pandora, inspiré de la légende du Hollandais volant et du mythe grec de Pandore - cette femme que le dieu Héphaïstos façonna avec de la terre et de l'eau pour qu'elle devienne l'instrument de la vengeance divine - se situe en Espagne, dans un petit port de la Costa Brava, Esperanza. Des pêcheurs viennent de ramener dans leurs filets deux corps, celui du peintre Hendrick Van Der Zee et d'une femme nommée Pandora Reynolds, selon les dires de l'archéologue britannique Geoffrey Fielding qui les identifie. C'est d'ailleurs grâce à lui, successivement acteur et spectateur de ce drame, que celui-ci va être reconstitué pour les besoins du film. Il nous apprend, par exemple, que Pandora Reynolds se serait sentie irrésistiblement attirée vers un yacht, ancré dans la baie.

 

Ce yacht appartient à un peintre hollandais que nous découvrons, au tout début du film, en train de peindre un tableau consacré à l'irréelle Pandore, alors qu'une femme s'approche à la nage et débarque à son bord. Curieusement, cette femme, Pandora Reynolds, ressemble à la mythique héroïne et va connaître un destin assez semblable au sien. Pour elle, des hommes vont sacrifier leur vie : le poète Reggie Demarest s'empoisonnera lorsqu'elle se refusera à lui ; le pilote Stephen Cameron renoncera  à la course automobile et ira jusqu'à précipiter sa voiture du haut d'une falaise et le matador Juan Montalvo, après avoir poignardé son rival le peintre Hendrick Van Der Zee, mourra dans l'arène. Alors que la tempête se lève, Pandora comprenant que le peintre, dont elle s'était éprise et qui vient d'être assassiné par sa faute, se croyait chargé du destin du Hollandais volant, condamné à errer, se sacrifiera à son tour et le rejoindra dans la mort, afin qu'il puisse goûter au repos éternel.

 

 

" Percer les mystères d'une âme est aussi vain que de tenter de vider l'océan avec une coupe " - dit Geoffrey Fielding lorsque les pêcheurs remontent les corps des deux amants. Ainsi Pandora, admirablement interprétée par la splendide Ava Gardner, fascine-t-elle au point de détruire ceux qui ont le bonheur d'abord, puis très vite le malheur de croiser sa route, selon le mythe antique qui disait que malgré sa belle apparence, cette déesse était à l'origine de bien des maux... "Quand nous voyons pour la première fois le Hollandais volant, écrivait le cinéaste, il est occupé à peindre le portrait d'une femme qu'il n'a jamais vue. Voilà un aspect purement surréaliste de ce personnage. Il était donc naturel pour moi d'essayer de faire un film délibérément surréaliste. Ce désir prit forme pour Pandora. L'habitude qu'avaient les surréalistes de juxtaposer des images anciennes et modernes, qui est particulièrement remarquable dans l'oeuvre de Chirico et de Paul Delvaux, m'a surtout troublé. J'ai trouvé dans le personnage du Hollandais volant, qui avait été condamné à vivre pendant plusieurs siècles, un symbole de cette juxtaposition des époques."
 

 

Que l'intrigue, située en 1930, ait son équivalence avec un drame qui se passait, selon la légende, au XVIIe siècle trouve ainsi sa justification. Hendrick Van Der Zee, campé par un James Mason très convaincant dans le rôle de l'artiste en proie à un dilemme intérieur et en quête d'un amour impossible, ajoute sa part d'étrangeté et de fantastique. Tout est fait pour surprendre, troubler, fasciner. Un orchestre joue " you're driving me crazy ", tandis que des hommes en habit dansent avec des jeunes filles dénudées sous le regard des statues antiques. Le mélange des styles est savamment dosé et pratiqué avec un évident plaisir esthétique. Amoureux des peintres, Lewin a su utiliser au mieux les ressources du technicolor de l'époque. Ava Gardner y est magnifique et inaccessible à souhait, sorte de divinité qui semble n'avoir pris que momentanément l'apparence d'une femme. Venue d'une autre planète comme pour séduire et détruire les êtres réduits à leur éphémère condition humaine. Ce n'est pas sans raison qu'Albert Lewin ouvre l'opus sur cette citation d'Omar Khayyam : "La main mouvante écrit. Et va, ayant écrit. Ni ta piété ne la saura, ni ton esprit fléchir pour qu'elle remonte à la ligne et l'efface. Ni tes pleurs d'un seul mot n'en laveront la trace."
 

 

Un film (1951) rare de par son thème - le mythe de la séduction destructrice et de l'éternelle errance - son atmosphère sulfureuse parfois, et sa splendeur esthétique. Inutile de répéter que les acteurs sont parfaits et nous font vivre un grand moment de cinéma. D'ailleurs le couple Gardner/Mason n'est-il pas entré, avec quelques autres, dans la légende d'Hollywood ?

 


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AVA GARDNER, LA FLAMBOYANTE

 

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PANDORA d'ALBERT LEWIN
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9 juillet 2006 7 09 /07 /juillet /2006 09:52
AUTANT EN EMPORTE LE VENT de VICTOR FLEMING

  

S'il est un film en tous points fidèle à un roman, c'est bien celui-ci. Margaret Mitchell n'a pas été trahie. L'histoire du tournage fut une épopée presque aussi riche en épisodes et rebondissements que celle relatée par la romancière. Avant même sa publication, l'ouvrage faisait l'objet de diverses spéculations, bien que la guerre de Sécession ait eu la renommée de n'être guère prisée du public. Et on le comprend : une guerre fratricide qui avait mis à feu et à sang le sud des Etats-Unis et avait vu les hommes d'un même pays se tuer sauvagement pour des idées, au lieu de tenter de s'écouter et de se comprendre... Le roman sortit le 30 juin 1936. Le 30 juillet, Margaret Mitchell signait le contrat de cession des droits cinématographiques de son livre - qui se révéla être, dès les premières semaines de sa mise en vente,  un incroyable succès de librairie - à David Seilznick qui les acquit pour la somme de 50 000 dollars et confia, sans plus tarder, la mise en scène à Georges Cukor et l'écriture du scénario à Sidney Howard. C'est donc Cukor qui fut chargé du travail de défrichage, longue élaboration qui nécessita des centaines de peintures d'atmosphère pour donner le ton du futur film. Dans le même temps, Seilznick cherchait sa Scarlett O'Hara, ce qui ne fut pas une mince affaire. Pas moins de 1400 candidates furent auditionnées. Paulette Goddard et Katherine Hepburn furent retenues et demeurèrent longtemps les favorites. Le personnage de Rhett Butler posa un problème différent. En écrivant son livre, Margaret Mitchell  pensait déjà à Clark Gable, mais il était sous contrat avec Louis B. Meyer et Selznick n'envisageait pas de se ruiner pour l'avoir dans sa distribution. Mais la pression populaire fut si forte, qu'il finit pas céder, et accepta de sortir les sommes astronomiques que nécessitait la rupture du contrat avec Meyer. Gable engagé, il restait toujours à trouver la Scarlett O'Hara idéale, au risque que la presse et le public, qui suivaient les négociations du film avec curiosité, ne croient Selznick incapable de mener à bien son projet.

 

 

On commence à tourner les scènes de l'incendie d'Atlanta alors que la vedette principale n'a pas encore été choisie. C'est le frère de David Seilznick qui lui présenta Vivien Leigh, de passage à Hollywood avec son mari Laurence Olivier. Seilznick fut séduit d'emblée, mais la presse se déchaîna contre cette anglaise qui entendait incarner une femme de la Louisiane traditionnelle. Enfin les rumeurs  faiblirent et le tournage put commencer. C'est à ce moment que Cukor quitta le plateau brusquement, en total désaccord avec Gable et au grand dam de Vivien Leigh et d'Olivia de Havilland qui appréciaient ce parfait directeur d'actrices. Clark Gable insista pour que Victor Fleming prenne la suite avec deux acolytes : Sam Wood et William Cameron Menzies. Le 1er juillet 1939, le film était en boîte après 125 jours de tournage et la première avait lieu à Atlanta le 15 décembre 1939, suscitant un enthousiasme spectaculaire. Sans doute est-ce la personnalité hors du commun de Seilznick, âgé seulement de 37 ans, qui contribua à apaiser les différends innombrables qui agitèrent le tournage et le rendirent pour le moins tumultueux. Certaines scènes nécessitèrent cinq à six versions différentes. Cependant, soixante ans après sa réalisation, Autant en emporte le vent  reste un exemple du savoir-faire hollywoodien et de la parfaite transposition d'un roman en film. Il est également une des rares évocations de l'époque de la guerre de Sécession, dont il a su rendre le climat, évoquant l'inconscience des Sudistes qui croyaient, à tort, être rapidement vainqueurs des Nordistes, sans cacher  sa nostalgie pour ces officiers vêtus de gris et ce Sud brutalement ravagé, humilié, incendié, pillé et livré aux soudards, si bien que nombreux sont ceux qui, aujourd'hui, jugent que le film fait la part trop belle à un camp plutôt qu'à un autre. La complexité de la situation ne permettait pas alors le recul nécessaire pour une impartialité de bon aloi et l'auteur était une femme du sud.
 

                       

Aux malentendus dramatiques que la guerre avait déclenchés, aux haines brutales et soudaines s'ajoutent dans le film, comme dans le roman, les incompréhensions affectives des quatre héros : Scarlett, Rhett, Mélanie et Ashley, chacun se perdant dans les méandres de sentiments trompeurs. Alors que Scarlett et Rhett sont, à l'évidence, faits l'un pour l'autre, ils ne cesseront de se déchirer et de se perdre. Ainsi en emporte le vent de nos erreurs, de nos contradictions, de nos doutes, de nos illusions, de nos aveuglements. Seule la terre dure et c'est à elle que Scarlett se raccrochera à la fin de l'opus, à cette terre rouge de Tara qui l'a vu naître et qui a vu naître et mourir ses ancêtres. " La terre est l'unique chose dans ce monde qui mérite que l'on travaille pour elle, que l'on se batte pour elle, que l'on meure pour elle parce que c'est l'unique chose qui demeure" -  lui dit son père au début du film, alors qu'elle est en proie au désespoir que lui inspire le prochain mariage d'Ashley, l'homme qu'elle croit aimer. Face à un Clark Gable au sommet de sa carrière, la jeune Vivien Leigh se révélera inoubliable dans le rôle emblématique de Scarlett O'Hara et l'Oscar, qui couronnera son interprétation, sera, ô combien, mérité. Ce film fut d'ailleurs couvert d'oscars, celui de la meilleure interprétation d'un second rôle revenant à la merveilleuse Hattie Mc Daniel dans celui de Mammy. Ce film, dont le coût de production paraissait faramineux en 1939 - 4.000.000 dollars - en rapportera 20.000.000 durant son exclusivité. Il reste un monument du cinéma, un film qui, tout ensemble, nous propose un panorama saisissant de l'époque de la guerre de Sécession et une subtile analyse des rapports entre une femme fière et un monde d'hommes, passant, sans la moindre rupture, de la fresque historique à la peinture intimiste des sentiments. Autant en emporte le vent.
 


Pour lire l'article consacré à Vivien Leigh, cliquer sur son titre :   VIVIEN LEIGH

 

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  • Auteur de treize ouvrages, passionnée par les arts en général, aime écrire et voyager.
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