Antoine d’Anthac, célèbre auteur dramatique, convoque par-delà sa mort, tous les amis qui ont interprété sa pièce "Eurydice". Ces comédiens ont pour mission de visionner une captation de cette œuvre par une jeune troupe, la compagnie de la Colombe. L’amour, la vie, la mort, l’amour après la mort ont-ils encore leur place sur une scène de théâtre ? Ce sera à eux d’en décider. Entre réalité et fiction, le partage ne sera pas simple...et l'art seul sortira vainqueur des coulisses de la vie. Alors que bien des films actuels sont décevants et manquent cruellement d'imagination, un magicien nonagénaire dépoussière le 7e art pour le faire sortir, le temps d'une projection, de ses rails trop bien balisés et nous entraîner dans une vision où l'art de la parole et de l'image est appelé devant les instances du jugement (celui des spectateurs bien entendu) à reprendre vie et à réactualiser le passé. Car c'est à nous, en dernier ressort, d'entrer dans le jeu de la pièce et des acteurs et, par delà la forme proposée, de nous immiscer à l'invitation du Destin (interprété par Almaric) à forger le nôtre. Emprunté à l'Eurydice et à Cher Antoine ou l'amour raté, pièces de Jean Anouilh que le scénario a compilées, nous plongeons au coeur du mythe, en même temps que dans l'envers du décor où 13 acteurs revivent la pièce qu'ils ont interprétée à tour de rôle et la réaniment de manière à ce qu'elle entre en éternité comme l'amour qu'elle est sensée perpétrer. Deux couples vont, sous l'impulsion de cette captation qui leur est projetée, donner existence au passé, le leur et celui de la pièce. Tout est dans la version cérébrale mais combien captivante de Resnais qui se plaît à jouer sur les décalages d'âge et de décor, les inflexions de chacun des interprètes, le jeu des couleurs et des champs, dont la profondeur n'appartient qu'au 7e Art.
Pour ce faire, le cinéaste a souhaité que ses interprètes improvisent au fur et à mesure des scènes, de façon à garder au film son authenticité expérimentale par rapport au théâtre, auquel le cinéma rend ici hommage. Tous sont merveilleux de sensibilité et on ne saurait assez vanter le talent des deux Eurydice Sabine Azéma (malgré ses cheveux rouges) et Anne Consigny et des deux Orphée Pierre Arditi et Lambert Wilson. L'hommage du cinéaste s'adresse également à eux qui ont formé, au long de sa carrière, sa troupe de choc. Ainsi par ce jeu de poupées russes et de dialogues qui ne cessent de s'imbriquer les uns aux autres, Alain Resnais fait-il preuve de sa capacité à repenser l'art cinématographique et à rester, malgré son âge ou bien grâce à lui, aussi inventif et imprévisible. Ne fait-il pas de la vie notre enfer et de nos rêves notre rédemption ? Et l'amour et la mort ne sont-ils pas invités à donner le ton et ne créent-ils pas de nouvelles voies esthétiques et artistiques sans revêtir pour autant un aspect morbide mais, a contrario, en sommant le réalisateur de dépasser les lignes trop exiguës du réel ?
Depuis Mélo et Smoking/Smoking, le cinéaste nous avait habitués à ce mélange des genres, mais avec Vous n'avez encore rien vu - titre qui ne correspond guère à l'opus - le mélange est plus audacieux parce qu'il brasse dans des dialogues incisifs les deux pièces d'Anouilh, tout en leur conservant leur théâtralité, mais en les adaptant avec doigté au cinéma, cela grâce au jeu des acteurs qui ainsi se dédouane du strict cadre de la scène et de l'unité de temps. C'est donc le temps qui sort victorieux de son duo avec la mort, le temps qui inverse les perspectives et exhorte les comédiens à user avec subtilité des ressorts de la mémoire. Une réussite.
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ALAIN RESNAIS OU UN CINEMA DE LA MEMOIRE
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